Une uchronie dans le Berlin de 1975, alors que l’Europe est occupée par la Chine maoïste ! Un polar poisseux à la narration à la fois linéaire et alambiquée. Une écriture graphique contrastée aux noirs généreux et oppressants. Clarke prouve une fois de plus son talent.
1975. À Berlin, il pleut souvent. Atmosphère qui convient bien à un polar. Jusque-là, rien de surprenant. Partout dans la ville, des affiches de propagande maoïste, des inscriptions en chinois. Ça, c’est plus surprenant ! L’Europe tout entière vit en effet sous le joug de la Chine du Président Mao. Clarke s’est fait connaître avec la série d’humour Mélusine, avant de mener à bien de nombreux autres récits, en solo ou avec des scénaristes (citons Urbex avec Dugomier). Il signe textes et dessins de cette uchronie. L’auteur donne peu d’explications dans son récit sur l’invasion chinoise, mais on a l’essentiel : au début des années 50, un virus qui n’est pas dangereux pour les Asiatiques a tué des millions d’Européens, avant qu’un vaccin ne soit proposé, comme par hasard, par la Chine. Le prix en était la soumission au pouvoir chinois. Les nouvelles guerres sont bactériologiques… En fin d’album, quatre pages retracent de manière efficace, au travers de unes de journaux de 1951 et 1952, les événements géopolitiques qui ont permis d’aboutir au Berlin chinois de 1975.
Nouvelle Chine © Soleil, 2024
En 1970, un scientifique prétendit toutefois que le virus n’était plus mortel pour les Européens et arrêta le traitement qui, selon lui, n’est plus qu’un prétexte des Chinois pour maintenir l’Europe en servitude. Il disparut dans la foulée. Mort du virus, assena le Parti. Mais la vérité est-elle ailleurs ?
Au-delà du virus, un serial killer
Clarke se sert de cette toile de fond décalée pour raconter un polar à la trame plus classique en apparence. Au milieu des années 70, un tueur en série sévit dans les parcs de Berlin. L’inspecteur Viktor Eberhard mène l’enquête. Il est miné par la disparition de sa fille, peut-être entrée dans la Résistance contre l’occupant chinois. On le voit beaucoup déambuler dans les rues de Berlin, traînant sa vie comme un boulet, focalisé exclusivement sur son enquête. Il dit se désintéresser de la politique, de l’occupation chinoise. Son nouvel adjoint essaie cependant de réveiller son humanité.
Nouvelle Chine © Soleil, 2024
Dans cet univers blafard, le trait caractéristique de Clarke apporte d’un noir et blanc élégant une musicalité salutaire. La texture des arbres dans les rues et les parcs permet à peine des respirations au milieu de la minéralité rectiligne des immeubles de béton. Dans cette triste ambiance, on entend presque le son mélancolique d’un saxophone perdu dans la nuit…
Article publié dans le Mag ZOO N°97 Mars-Avril 2024