Et si dans une société totalitaire dystopique, un employé modèle tombait amoureux d’une femme défi ant le système ? Les Yeux doux est une histoire d’amour rétrofuturiste, à la fois familière et novatrice.
Dans une société autoritaire bien huilée, les travailleurs asservis triment sous les yeux des Yeux Doux, pin-ups placardées aux murs, symboles d’une grande compagnie de surveillance. Le jeune Anatole, brusquement renvoyé de son job à l’usine, perd son statut social et sa consistance : il devint littéralement invisible. Annabelle, sa sœur, n’a d’autre choix que de voler pour survivre. Elle se fait rapidement dénoncer par un des employés modèles des Yeux Doux : Anatole. Ce dernier, obsédé par le souvenir de la voleuse, décide d’enfreindre les règles pour effacer son délit. Peine perdue, il est arrêté. Parvenant à s’enfuir, il intègre un réseau rebelle, toujours obsédé par Annabelle…
La tuile d'Anatole
Aux inspirations à peine dissimulées (Blade Runner et sa ville enfumée ; Brasil et la cruauté de son système administratif ou encore 1984, son Big Brother et son histoire d’amour dissidente), le scénariste prolifique Corbeyran raconte le dilemme d’un homme. Rouage du totalitarisme, Anatole retrouve son humanité en tombant amoureux. Si Corbeyran s’est déjà frotté à tous les genres, il propose ici une fable rétrofuturiste avec un regard plus léger sur la contre-utopie. Cette légèreté, novatrice pour le genre, provient des pointes d’humour et de l’espoir d’un monde différent porté par Le Jardin des Bennes (communauté libertaire). Derrière la critique du totalitarisme, Corbeyran en distille une de la polluante société de surconsommation, du rapport au travail et à ceux qui n’en ont plus (invisibilisés).
La ligne claire, c'est l'avenir
Le dessin de Michel Colline joue beaucoup sur l’aspect tendre et sensible de l’histoire. Rappelant le Spirou de Franquin (d’ailleurs un petit groom peut être aperçu) et le Bob Fish d’Yves Chaland, son trait nourri par la « ligne claire » a quelque chose de doux et de nostalgique. L’auteur retrouve un de ses sujets de prédilection avec la dystopie, comme dans son diptyque Charbon, poussant cette fois davantage le curseur sur le mode de vie urbain déshumanisant. Si plusieurs fi ls scénaristiques sont attendus et bon nombre de personnages archétypaux, Les Yeux doux parvient à apporter de la poésie à une contre-utopie nourrie de références et d’inspirations.