Enfant, elle a assisté au meurtre de son père, alors qu'elle se trouvait dans son bureau en train de lire. Assoiffée de vengeance, elle est maintenant déterminée à pourchasser le coupable et à éliminer tous les obstacles qui se dresseront sur son chemin…
Elle n’a pas de nom, elle n’est qu’une boule de résignation qui suit la piste de celui qui a jadis assassiné son père, à travers les rapports de police qui lui ont permis d’établir une première liste de suspects d’anciens tueurs d’État à la retraite, Chacun a pu, potentiellement, être sur place, vingt ans plus tôt, pour commettre le crime.
Premier contact, les dessins.
Pour cette histoire, le scénariste Matt Kindt s’est associé avec un jeune prodige de la scène indé américaine, Matt Lesniewski, que l’on a découvert avec ses albums The Freak (Oni Press) et Static (Dark Horse). Le style expressionniste de ce dernier nous entraîne dans un univers tordu, quelque peu déstabilisant, où les corps s’élancent, traversent les cases, se déforment dans des anatomies grotesques, avec des chevelures animées qui rappellent Méduse. Cette surexpressivité graphique transcende le propos en lui ajoutant une dimension fantastique exceptionnelle, ce qui rend cette lecture fascinante dès les premières cases.
Ensuite, le scénario.
En contrepartie, même si l’histoire est captivante, Matt Kindt nous ressort l’énième récit d’une revanche, à la poursuite d’un tueur qui jadis tua le père de l’héroïne. On reconnait ses habituelles idées de tueurs d’État, d’entraînements secrets, de réalité qui n’est pas vraiment telle que la protagoniste la perçoit, et finalement, tout est assez téléphoné. Seulement, Kindt reste un scénariste adroit qui ne se suffit pas des grosses ficelles. Pour l’occasion, il fait de cette jeune femme une psychotique qui se perd parfois entre la réalité et ses visions qui évoquent le folklore slave. Ce balancement incessant de l’un à l’autre rythme le récit et nous fait douter des véritables raisons qui motivent cette épopée meurtrière. En cela, Kindt trouble sans cesse son intrigue en questionnant les souvenirs de l’héroïne, en nous faisant croire que, peut-être, en substance, elle représenterait une sorte de Petit Chaperon Rouge slave qui décide de prendre sa revanche sur le loup, sur tous ces monstres qui pullulent dans les contes qu’elle dévorait, toute petite. À la différence qu’il n’est plus ici question d’une innocence vaguement perdue, mais d’un monde d’adulte duquel il est difficile de s’échapper, autrement que par le rêve.

© Crimson Flower - Delirium
Une bonne surprise.
Sorti assez discrètement, Crimson Flower reste avant tout une très bonne surprise, l’arrivée en VF d’un artiste qui n’a pas fini de faire parler de lui. Elle annonce aussi la sortie, un peu plus tard dans l’année, de l’excellent Static, de Lesniewski en solo, un album à ne pas laisser passer…
Une découverte Delirium que je vous conseille de lire, sans plus attendre.