L'enfer

De l’Enfer d’Henri-Georges Clouzot, on a la légende, les rushs et le scénario. 60 ans après, Nicolas Badout ressuscite en version BD ce classique inachevé du cinéma français.

Jeunes mariés amoureux, Odette et Marcel gèrent un hôtel au pied du viaduc de Gabarit dans le Cantal. Un vrai paradis ! Mais tout se détraque lorsqu’un autre établissement ouvre à quelques mètres et que les affaires déclinent. Marcel ne dort plus. Le manque de sommeil et les passages constants du train sur le viaduc lui tapent sur le système et lui provoquent des hallucinations. Quand il commence à entendre des voix qui le persuade qu'Odette le trompe, sa raison vacille… Ce pitch vous dit sans doute quelque chose ! Adapté au cinéma par Chabrol dans les années 80 à partir du scénario original de Clouzot, ce projet inachevé a fait couler beaucoup d’encre, donner lieu à d’innombrables recherches et fait entrer le film dans la légende. Initialement prévu avec Romy Schneider et Serge Reggiani et doté d’un budget illimité (gageure pour l’époque), le tournage n’aura duré que trois semaines avant l’infarctus de Clouzot qui ne reprendra jamais son œuvre.

Tout va pour le mieux, si ce n’est que Marcel ne supporte plus le fracas infernal du train qui, plusieurs fois par jour, emprunte le viaduc © Sarbacane

Vertigo

Fruit de longues recherches s’appuyant sur la documentation du film (rushs, scénario co-écrit par Clouzot et Lacour, documents de tournage, notes manuscrites, décors…) Nicolas Badout donne vie en roman graphique au film inachevé. Prêtant les traits des protagonistes principaux aux acteurs originels, l’auteur suit méticuleusement le story-board prévu par Clouzot. On plonge dans l’esthétique des années 60, dans l’obsession maladive de Marcel, ses hallucinations, sa raison en manque de sommeil basculant peu à peu dans la folie pure. L’Enfer, c’est la jalousie pathologique, mais c’est aussi et surtout à l’heure de #Metoo, le décryptage sous forme d’alarme des troubles psychiatriques lourds et des violences sexistes et sexuelles qui en découlent. Car Odette est une femme belle, heureuse et libre, un combo qui ne fait pas bon ménage avec la psychose amoureuse. Une histoire connue qu’on se plait à redécouvrir sous sa forme primitive, dans un ouvrage au dessin et au propos noirs et impactants.

Article publié sur le mag ZOO N°103 Mars-Avril 2025