Une histoire sur le Bien et le Mal qui s’offrent à chaque humain comme deux routes possibles, mais qui sont aussi indivisibles à l’intérieur de lui. Un drame shakespearien aux dialogues ciselés dont Ayroles et Tanquerelle nous régalent sur les terres glacées du Groënland, à la fin du XVème siècle.
Alain Ayroles a ressuscité un personnage vraiment intéressant : Richard III n’est pas mort sur le champ de bataille, contrairement à ce qu’avait écrit Shakespeare. Il navigue vers le Groënland, incognito, en compagnie d’un évêque qui veut réimprimer la marque de Rome en ces terres lointaines. Richard, bossu, n’est pas beau. Mais il a l’âme d’un chef et sait intriguer pour servir ses intérêts. Peut-être même veut-il vraiment le bien de cette population vissée à sa terre austère.
Parfois, il semble s’adresser directement au lecteur, comme pour lui prouver sa supériorité et se le mettre dans la poche. C’est aussi un code du théâtre, rappelant la forme qu’avait Richard III sous la plume de Shakespeare. La construction du récit en actes et scènes, outre le fait d’être une autre convention théâtrale, met en valeur l’évolution de cette passionnante histoire.

La Terre verte © Delcourt
Un propos finalement très contemporain
Coincée entre une tradition qui donne le pouvoir à quelques nantis et l’emprise de l’évêque, la petite communauté de descendants de Vikings est une proie facile pour l’ambitieux et charismatique Richard. On ne peut s’empêcher de faire la comparaison avec notre société actuelle, où le populisme prospère du fait des faiblesses du système en place. Ingeborg, la belle guerrière qui espère une nouvelle prospérité pour son pays, s’offre à Richard.
Kraka, le bouffon au physique ingrat mais aux paroles subtiles est un contrepoint aux tensions qui montent dans la communauté. Ses propos un brin cyniques aident à avoir le recul nécessaire pour mieux savourer ce qui n’est pas seulement un récit épique et prenant.
Un dessin puissant qui emporte l’adhésion
Certes, le dessin de Hervé Tanquerelle surprend dans un premier temps : un trait plus réaliste que ce que l’on connaissait de l’artiste. Mais on est pris immédiatement par la puissance de son dessin, représentant de manières saisissante les paysages, donnant vie aux personnages. Les couleurs sont belles, nuancées : bleutées pour la longue et froide nuit polaire ou chaudes près de l’âtre. A noter qu’une version en noir et blanc est également proposée, très belle également.
Par petites touches, Ayroles façonne le portrait d’un homme de son temps. Il nous porte aussi un message sur ce que nous faisons de notre monde et de nos vies. Acta fabula est.
Article publié dans le mag ZOO N°103 Mars-Avril 2025