Intelligences

À la croisée du thriller et de la bande dessinée d’auteur, cette œuvre interroge autant qu’elle divertit, en alliant précision documentaire et efficacité narrative.

En 2019, le Mossad transmet une information sensible à la DGSI : un ingénieur iranien, surnommé « le siamois », multiplie les séjours en France. Il rend visite à son fils hospitalisé à Necker. Cet homme joue par ailleurs un rôle clé dans la stratégie régionale de Téhéran : la prise de contrôle du port syrien de Lattaquié dont Bachar al-Assad a laissé la gestion à son allié iranien. Cet accès direct à la Méditerranée inquiète au plus haut point Israël, qui redoute qu’il ne serve de canal pour l’acheminement d’armes vers ses frontières.

Face à cet enjeu, la DGSI monte une opération discrète. Un agent parvient à recruter une infirmière de l’hôpital. Profitant des contraintes sanitaires imposées à l’ingénieur lors de ses visites — blouse et charlotte obligatoires, effets personnels laissés à l’entrée — elle s’empare de son ordinateur. Le portable est confié aux spécialistes de la DGSI qui l’équipent d’un dispositif espion, avant d’être replacé sans éveiller le moindre soupçon. Dès lors, les services français disposent d’une mine d’informations, qu’ils peuvent partager avec le Mossad si nécessaire.

Extrait de la BD " Intelligences " de Philippe Pelaez, Hugo de Bénat et Gontran Toussaint, un thriller d'espionnage haletant.
© Dargaud, 2025

L’album est signé par un duo complémentaire : Hugo de Bénat, ancien officier des renseignements français, et Philippe Pelaez, l’un des scénaristes les plus prolifiques de ces dernières années. Leur collaboration fonctionne à merveille. Les amateurs de la série « Le Bureau des légendes » y retrouveront les ingrédients qui ont fait son succès : réalisme, tension et sens du rythme. La documentation, sans doute apportée par l’expérience de Hugo de Bénat, confère au récit une crédibilité saisissante, tandis que la construction narrative, parfaitement maîtrisée, maintient le lecteur en haleine du début à la fin.

Le dessin de Gontran Toussaint, épuré et volontairement froid, accompagne ce récit sans détour. Son style, qui évoque par moments Vance dans une version simplifiée, laisse le scénario prendre toute la lumière. Quelques imprécisions dans les ombrages n’entament pas l’efficacité d’un trait qui sait se faire oublier au profit de l’histoire. La couverture, conçue comme un assemblage de clichés volés, illustre avec force le thème central : l’espionnage et son art du détail.