Deux ans après l’excellent La femme à l’étoile, Anthony Pastor récidive avec un western sombre et désenchanté. La patte d’un artiste hors-norme.
Quelque part au milieu du Texas, en 1893, trois hommes enterrent Maggie Lavigne qui vient prétendument de se noyer. Malgré son statut de marginale, rejetée par la communauté, la femme qui se tient allongée devant eux, l’œil vide, les renvoie à un passé partagé truffé de non-dits et de secrets connus silencieusement de tous. Chacun des hommes l'aimait à sa façon. Ils ressentent ce souffle glacial qui s’insinue en eux et sa signification profonde, ils pensent à son fils Billy qui travaille au ranch Ford, qu’il va falloir prévenir et au drame qui va en découler. Mais ils ont surtout des soupçons. Celui qui creuse, Keller, ne leur dit pas tout et c’est parfois, dans ces temps reculés, suffisant pour que la situation dégénère en accusation et peut-être même en châtiment. Dans ce paysage aride et désolé, les mots sont souvent inutiles, remplacés par des regards qui observent, qui comprennent, qui jugent.
Les souvenirs en lambeau
Le récit se centre donc sur Billy, un jeune homme profondément marqué par la mort de sa mère. Son patron, qui le considère peut-être à raison comme son fils, fonde de nombreux espoirs sur lui, croyant qu'il prendra sa relève quand il ne sera plus là. Cette émotion à fleur de peau imprègne progressivement l’album. Nous plongeons dans les souvenirs suggérés en filigrane par chacun, cette mémoire floue qui esquisse un paysage partagé de tension et d'insatisfaction, des propos qu'on aurait souhaité exprimer, dévoiler, des regrets, mais également de l'amertume honteuse.

Extrait de "Billy Lavigne" © Anthony Pastor - Casterman
Anthony Pastor livre un album d’une très grande finesse qui nous bouleverse dès les premières pages. Il nous entraîne dans les pas d’un jeune homme fracassé qui se tient sur la tombe de celle qu’il ne connaissait finalement pas tant que ça, qui s’épanche pris d’une soudaine fureur… Refusant de se réfugier dans le pathos trop facile avec des personnages trop lisses, sans aspérité, Pastor explore les méandres de l’âme humaine déchirée entre colère, tristesse et résignation. Du grand art, sans concession.
Article publié dans le mag ZOO N°103 Mars-Avril 2025



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