Pour se protéger des sempiternelles manifestations aux pieds de leurs entreprises, des catastrophes naturelles qui empêchent les spéculations immobilières, une communauté de milliardaires décide de faire construire une île flottante privée, appelée Freedom Unlimited, qui ne sera accessible qu’aux très hauts revenus. Au milieu des eaux internationales, ils peuvent désormais vivre dans leur petit paradis, en toute impunité…
Aujourd’hui, peut-être bien plus que par le passé, l’hégémonie de l’ultra capital est à la fois de plus en plus montré du doigt, mais paradoxalement aussi érigé comme un modèle inaliénable nécessaire qui ronge notre société, mais contre lequel nos modestes moyens ne peuvent finalement pas faire grand chose. Les mouvements dénonciateurs se multiplient. Partout dans la presse indépendante, la mainmise de l’argent sur les médias et sur les ressources naturelles est dénoncée à grand renfort de reportages d'investigation, de schémas qui mettent à jour tel scandale, qui enclenchent tel procès retentissant… Les ultra riches n'ont jamais eu autant mauvaise pub !
S’inscrivant dans la foulée de cette ambiance de « sonneurs d’alerte », Mark Russell, accompagné des très belles planches de Steve Pugh, propose donc Billionnaire Island, une virulente satire de ce monde alternatif qu’est devenue la sphère des multimilliardaires.
Billionaire Island
© Urban Comics, 2022
Satire un peu trop forte
L’angle d’approche qu’adopte le scénariste force les caractères des personnages et des situations sans véritable subtilité. L'idée est intéressante dans ce qu’elle veut montrer du doigt, surtout au vue de l'ambiance actuelle, mais elle manque cruellement de finesse dans le traitement qui reste extrêmement binaire. Les riches sont des méchants ++ qui manipulent allégrement les pauvres victimes innocentes qui sont globalement plutôt stupides, voir même contents de leur sort ! Et mis à part la journaliste Shelly Bly et sa volonté de révéler la « vérité », ou encore ce mystérieux tueur qui veut dégommer les têtes au pouvoir, tous sont caractérisés à la louche, sans nuance aucune, presque trop grossièrement.
Billionaire Island
© Urban comics, 2022
Alors, c’est vrai, on reste dans une caricature sans compromis, avec ses codes, ses références. Toutefois, même si le ton est ouvertement moqueur, il me semble qu’il aurait pu être intéressant d'affiner le propos qui reste, pour le coup, grossier dans ses contours et ses représentations. D’autant que le débat, s'il est particulièrement d'actualité, reste complexe à appréhender, dans ses enjeux. Tout n’est justement pas qu’une question de manichéisme, avec les gentils et les méchants.
Malgré tout, le scénario met aussi en avant le fait que cette communauté évolue dans un autre monde que le nôtre, qu’il est donc difficile de construire des ponts, un dialogue. Russell accentue tout ça en ajoutant une touche d’absurde, digne des Monty Python, comme le rôle de ce « président » tout puissant qui prend ses décisions en toute inconscience…
Un album qui pose un regard assez pertinent sur notre société et le rapport que l’on peut porter sur les plus riches, en résonance avec les récentes indignations qui viennent troubler les réseaux sociaux. Il faut juste dépasser la pantalonnade pour voir poindre l’œil acéré du scénariste.