Proust était un rentier nanti qui n’a rien fait de sa vie au niveau domestique. Céleste a été dix ans à son service et la confrontation de leurs mondes a abouti sur de réelles connexions, superbement restituées par Chloé Cruchaudet.
Céleste, partie 2 - Il est temps, Monsieur Proust © Soleil, 2023
À la fin de la première partie, Céleste Albaret a rendu son tablier, n’en pouvant plus des caprices de son employeur, Marcel Proust. Mais elle a la nostalgie du monde raffiné et fantasque auquel elle a goûté, elle, la fille simple venue de la campagne. Aussi, quand Proust la recontacte à l’occasion d’une crise provoquée par sa santé fragile, Céleste saute sur l’occasion et se fait réembaucher comme gouvernante, avec une augmentation et l’assurance que sa sœur puisse venir la seconder au service de l’écrivain.
Chloé Cruchaudet se concentre sur la relation entre Proust et Céleste, se basant, entre autres, sur les mémoires de cette dernière, mais aussi sur l’œuvre de l’écrivain ou des critiques qu’elle a inspiré. On ne quitte guère la chambre de Proust, souvent réfugié au fond de son lit ; pourtant, que de vie, que de mouvement ! L’autrice a travaillé dix ans dans le cinéma d’animation et cela se voit. Elle centre son propos sur le ballet des humeurs d’un Proust soucieux de construire sa légende et dont la flamme est entretenue par la présence de Céleste, jour et nuit. Il est parfois odieux avec elle, mais il sait ce qu’elle lui apporte et il la citera dans son œuvre.
L’autrice nous offre quelques moments de grâce, comme l’incursion de Proust dans le jardin de l’enfance de Céleste ou dans un tableau de Vermeer dont un petit pan de mur jaune rejaillira dans ses écrits. Pour une fois, n’ayons pas peur d’évoquer la fin du récit : la mort de Proust est traitée de manière particulièrement émouvante. Mais l’écrivain n’éclipse pas pour autant les femmes qui occupent une place de plus en plus importante dans la société d’alors, pendant « la Grande Guerre » et dans l’après-guerre. Et bien sûr, le contraste saisissant entre le monde des nantis et celui des serviteurs donne le cadre du récit.
De son propre aveu, Chloé Cruchaudet s’est régalée pendant deux ans à travailler sur ce diptyque. Plaisir partagé à sa lecture.