Avec Contrapaso, Teresa Valero signe une œuvre ambitieuse qui frappe autant par sa densité que par sa noirceur. Ce deuxième album exige une attention soutenue tant les intrigues et les personnages s’entremêlent, mais cette complexité, loin d’être un défaut, reflète la richesse d’un récit où la fiction se nourrit constamment de l’Histoire.
Dans ce deuxième tome de la série, nous retrouvons les deux journalistes du premier volume, Sanz et Lenoir, entraînés cette fois dans une enquête au cœur du milieu du cinéma. Comme le précédent, cet album dense – près de 170 pages – plonge le lecteur dans le Madrid de la fin des années 1950, encore marqué par les cicatrices de la guerre civile et soumis à la poigne de fer du régime franquiste. Teresa Valero nous invite à ressentir l’ambiance de cette Espagne franquiste, à travers ses tensions politiques, sociales et humaines.
Le récit débute dans une salle obscure où Leon Lenoir assiste à une projection en compagnie de sa cousine Paloma, la femme qu’il aime en secret depuis toujours. La séance vire au drame lorsqu’un spectateur est découvert mort, un morceau de pellicule coincé dans la bouche. Lenoir s’empare du fragment et quitte les lieux précipitamment, juste avant l’arrivée de la brigade sociale venue faire un contrôle inopiné. La victime n’est autre que le père Pitach, censeur ecclésiastique, figure implacable de la morale officielle. Or, sur le fragment retrouvé, l’homme d’Église apparaît en train d’embrasser une jeune femme… Ce point de départ propulse Sanz et Lenoir dans une enquête complexe, où les proches du religieux se retrouvent rapidement impliqués.

Extrait de l'album " Contrapaso T.2 " de Teresa Valero, une enquête mêlant réalité historique et fiction romanesque.
© Dupuis, 2025
La force du récit réside dans la manière dont Valero entremêle réalité historique et fiction romanesque. Son intrigue, foisonnante de personnages et de détails, peut parfois sembler dense, mais elle invite le lecteur attentif à relire certains passages pour en saisir toutes les subtilités. L’autrice aborde des thèmes forts : l’exode rural qui a conduit des milliers de familles à vivre dans les bidonvilles de la capitale, les compromis douteux entre la dictature franquiste et les États-Unis, ou encore les trafics et dérives liés à cette alliance. Elle dénonce aussi avec vigueur la censure féroce qui bridait le cinéma espagnol.
Sur le plan graphique, Teresa Valero déploie un talent remarquable. Forte de son expérience dans l’animation, elle possède un sens aigu de la mise en scène : ses planches, d’une grande lisibilité, allient précision du trait et richesse des décors. Les couleurs, lumineuses et nuancées, subliment l’atmosphère de l’époque. Chaque détail semble pensé pour servir le récit et renforcer son intensité. On peut regretter qu’elle n’ait pas davantage consacré de temps à la bande dessinée, tant sa contribution au neuvième art est éclatante.
Avec ces deux premiers volumes, Contrapaso s’impose comme une œuvre dense, exigeante et captivante, où se mêlent enquête, mémoire historique et drame humain. Un diptyque qui séduira les amateurs de récits immersifs, à la fois sombres et profondément romanesques.