Casterman offre à Bastien Vivès et Martin Quenehen l’occasion de proposer leur version de Corto Maltese, pour un résultat aussi intense que convaincant.
Depuis le début de sa carrière, son style en aplats de noir, en ombres qui s’émancipent de trop de détails, vaut à Bastien Vivès une constante comparaison avec ces maîtres de la franco-belge de Muñoz à Pratt évidemment. Si la question s’était déjà posée chez Casterman d’inviter l’auteur à s’approprier le mythe Corto, c’est finalement l’improbable Martin Quenehen, historien, prof, producteur, écrivain, scénariste BD et fan absolu de Corto Maltese, qui finit par le convaincre de tenter avec lui l’expérience.
Le scénariste livre ainsi à son comparse de Quatorze Juillet (Casterman) une aventure inédite de Corto Maltese. Irréprochable, son scénario colle évidemment, c’en est presque agaçant, à l’univers si riche initié par Pratt en son temps. Du Japon au Pérou, le mythique héros poursuit ainsi l’Océan Noir, organisation nationaliste nipponne, afin de déjouer un incontournable complot.
Corto Maltese est de retour! © Casterman éditions 2021
Un album initiatique
Vivès et Quenehen pénètrent avec humilité l’environnement maltésien. Ils en abordent avec précision ses aspects romantiques, son exotisme et son érotisme sous-jacent. Bastien souligne même s’être challengé à rendre à l’aventurier son total sex-appeal, la sexitude masculine la plus torride du 9e Art, un comble pour un dessinateur qui aime surtout dessiner des femmes. Mais la plus grande part de son talent c’est bien dans sa mise en scène et dans le rythme de l’album qu’il l’exprime. Malgré son usuel développement sur trois bandes, l’auteur réussit à maintenir les tensions inhérentes à ce genre d’aventures tout en imposant aux bons moments des pauses contem- platives chères à l’œuvre originale. « Pour Corto, dit-il, transposé au xxie siècle, un vrai moment de contemplation consiste à choisir de prendre un bateau là où un avion l’emmènerait à destination en cent fois moins de temps ».
L’histoire répond en tout point à ce qu’un lecteur pourrait attendre d’un nouveau Corto Maltese. On peut éventuellement regretter de ne pas y trouver l’acidité ou peut-être la noirceur dont sait si bien jouer Vivès. Ce dernier ne cache d’ailleurs pas son envie de « passer la quatrième », de « salir un peu tout ça » dans un prochain album. Souhaitons-lui et souhaitons-nous que Corto Maltese : Océan noir ne soit pas seu- lement une parenthèse enchantée à la série.
Article publié dans le Mag ZOO N°83 Septembre-Octobre 2021
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