Grandville - T1

Avec cette série, Bryan Talbot revient au Steampunk, dans un univers où Napoléon aurait gagné la bataille contre les anglais, où Paris s’appellerait désormais Grandville et où les personnages auraient pour la plupart des têtes d’animaux…

Nourrissant son intrigue d’une multitude de références, Talbot construit très habilement son intrigue en installant un cadre graphique riche et vraiment très beau. Au milieu de ces animaux qui parlent, il glisse des clins d'œil aux whodunit de Conan Doyle, Agatha Christie ou John Dickson Carr. Ces affiches qu’il détourne ornent le coin d’un mur, les décors rétro-futuriste sont très étudiés et dépaysants, on croise même certains personnages célèbres comme Bécassine, Spirou ou même Milou en vieux chien junky… L’auteur n’en néglige pas pour autant l'action et les mille et un rebondissements, avec des séquences de courses poursuites bien dynamiques. 

Enquête dans la basse court

Tout commence par la découverte du corps de Raymond Leigh-Otter, un agent des services secrets anglais assassiné dans son salon. L'inspecteur LeBrock, de Scotland Yard, dépêché sur les lieux, remonte alors la piste encore chaude des meurtriers jusqu’aux rues de Grandville, mettant à jour, progressivement une sombre affaire de conspiration et par la même la vision d’un univers complexe qui se développe autour d’un trauma national, une vilaine cicatrice qui a complètement redéfini les enjeux européens de la fin du 19^ème siècle.

Au gré des indices que découvre LeBrock, nous plongeons alors dans une vision alternative qui nous dépeint une époque foisonnante, où la France est au centre de tous les courants culturels et industriels... Mais Talbot reste bien conscient qu’il ne s’agit que d’un cadre pour son récit, même s’il propose une intrigue qui ancre ses bases dans les remous politiques de cette période, avec des batailles en coulisse, des complots qui se trament en secret, se manipulant les uns et les autres.

Au milieu de tout ça, l'inspecteur LeBrock passe outre le protocole et les diverses personnalités qu'il croise, pour avancer et percer le secret de ce meurtre aux apparences assez simples, mais finalement bien plus révélateur d’un malaise nationaliste. Ses méthodes peuvent surprendre par leur côté expéditif, il n’hésite pas à frapper, torturer ou même carrément tuer. Il a les coudées franches.

C'est ce contraste entre un monde sophistiqué, où le policier fraye avec la haute société et les bas-fonds de la ville et une justice sans concession qui fait tout le charme de cet album ! 

© Delirium, 2023

Talbot en chef d’orchestre 

On connait assez mal Bryan Talbot en France. Toutefois, on a pu découvrir les remarquables aventures de Luther Arkwright chez Kymera, L’histoire d’un vilain rat chez Vertige Graphique, Nemesis chez delirium ou encore les albums avec sa femme, comme l’excellent Louise Michel - la vierge rouge, chez Vuibert !

On est immédiatement séduit par les planches qui nous sont proposées, les détails, les engins à vapeur qui animent les cases, les personnages très expressifs et le décalage qui se dévoile avec notre réalité, notre Histoire. Talbot s’amuse et on ressent ce plaisir à chaque page tournée.

Une passionnante enquête, très originale qui nous est proposée par les éditions Delirium qui d’une part retraduit les volumes publiés initialement par Milady, mais ambitionne d’aller jusqu’au bout des volumes originaux. Croisons les doigts.

Vivement conseillé.