Pour ce troisième volume, Jean Van Hamme se concentre sur le parcours de Nerio Winch, son parcours, ses magouilles et sa première rencontre avec celui qui deviendra son fils adoptif, Largo.
La formule Van Hamme est de celles qui forgent des succès, comme ont pu le prouver Thorgal, XIII et évidemment Largo Winch. Dans les deux premiers cas, ce dit succès a ensuite généré des spin-off qui ont démontré que le public était là, fidèle au poste et qu’il était même demandeur d’albums qui étendaient les divers univers, comme ce fut le cas plus particulièrement avec Thorgal.
Dernier de la liste à ne pas avoir eu droit aux honneurs des albums « périphériques », Largo Winch se voit donc affublé, depuis 2021, d’un triptyque qui revient sur la tumultueuse histoire de la famille Winczlav, depuis la fuite de Vanko Winczlav de Yougoslavie pour les États-Unis en 1848, à l’adoption de Largo par Nerio en 1990.
C’est l’occasion pour Jean Van Hamme qui a quitté l’écriture de la série en 2015, de revenir par la petite porte pour compléter le background, s’attarder sur l’aspect dynastique de cette famille, et préciser quelques références qui se sont glissées au fur et à mesure des albums depuis le début.
La fortune des Winczlav Tome 3 - Danitza 1965 © Dupuis, 2023
Le bon dosage…
Les deux précédents volumes brossaient des périodes assez vastes, entrainant des ellipses narratives qui, parfois, pouvaient surprendre et nous faire regretter que le scénariste n’ai pas pris davantage de temps pour développer certaines étapes. De fait, il n’y avait donc qu’assez peu de place pour approfondir les psychologies, ce qui obligeait Van Hamme à rester dans du factuel sans s’attarder. Pour un récit du type Chronique familiale, c’était suffisant, d’autant qu’il n’était pas ici question de s’arrêter sur un élément plutôt qu’un autre, juste de poser des pions sur la frise, mais disons que ça générait aussi de la frustration pour le lecteur.
Toutefois, avec ce troisième et dernier volume, on voit bien que l’objectif est nettement différent. Van Hamme axe toute son intrigue sur deux pistes. La première et la plus nette concerne Nerio Winch, la seconde consiste à amener lentement Largo dans le récit, et donc vers sa rencontre avec celui qui va lui servir de mentor.
Très vite, on se rend compte que Van Hamme prend son temps pour bien expliquer les tenants et aboutissants de la fortune des Winch, la personnalité de requin de Nerio, ses magouilles et tout ce qu’il va ensuite entreprendre pour retrouver la trace de Danitza Winczlav, la mère de Largo. On est déjà plus dans l’esprit de la série mère et le scénariste nous montre aussi qu’il est bien plus concentré sur la profondeur de l’intrigue et les diverses caractérisations, qu’il n’est plus seulement question de simplement suivre un schéma de faits constituants.
La terre natale
De plus, alors qu’il se focalisait jusque-là davantage sur la branche américaine de la tribu Winch, il revient progressivement vers le sol original, la Yougoslavie et les multiples conflits interne qui déchirent le pays, mettant ainsi en danger cette famille fracturée. Nerio construit une passerelle vers les deux cultures, les deux branches, il sert de lien pour reconstruire ce qui avait progressivement disparu, cet esprit de famille, cette unité qui va dorénavant servir de terreau pour la suite.
Car même si l’histoire des Winch est à l’exemple des grandes sagas américaines, de ces « one made men » qui se construisent par leur travail acharné, elle prend aussi sa source dans la terre d’un pays creusée de sillons, plein de fierté, de tension. C’était important ainsi de réhabiliter cette partie, de remodeler les fondamentaux.
La fortune des Winczlav Tome 3 - Danitza 1965© Dupuis, 2023
Un trait, un profil, un sourire énigmatique
Graphiquement, Philippe Berthet adopte un style qui se fige de plus en plus, bien qu’il y ai toujours ce charme indéfinissable, ces atmosphères à la fois désuètes et savoureusement moderne. On se rend compte, petit à petit, que son trait devient système, bien qu’il fonctionne encore très bien, mais qui montre très vite ses limites dans l’expressivité des personnages plus particulièrement. Malgré tout, c’est aussi une alternative à Francq pleine de charme et plus stylisée. On est moins dans des cases panoramiques de centre ville, l’univers de Berthet est plus doux, plus suave aussi.
La trilogie se termine donc avec cet ultime volume, des portes de compréhensions se sont ouvertes devant nous. Il serait presque intéressant de reprendre la série depuis le début, pour y déceler les signes cachés ici ou là. La famille Winczlav/Winch nous apparaît plus familière, même s’il demeure des secrets dissimulés dans de vieilles armoires, nous comprenons mieux d’ou vient Largo… Peut-être la prochaine fois sera-t il davantage question de ses jeunes années…Croisons les doigts…