L’auteur de la série qui a révolutionné la BD historique lui met un point final de très haute voltige. Le neuvième tome des Passagers du Vent nous entraîne plus loin que jamais, au bout du Finistère où vit cet artiste hors-norme. Nul ne dessine la mer comme François Bourgeon.
On avait quitté Les Passagers du vent un peu chafouins, à la lecture du tome 8, le premier du diptyque Le Temps des cerises , Rue de l’Abreuvoir paru en octobre 2018. Soyons honnêtes : côté scénario, le maître François Bourgeon nous avait habitués à voler beaucoup plus haut. Rien de catastrophique si l’on ne perd pas de vue que cette série est certainement celle qui a le plus révolutionné la bande dessinée historique. Mais tout de même. Dès lors, il ne restait plus qu’à attendre, avec une impatience certes difficile à canaliser, le neuvième et ultime tome.
Et c’est peu de dire qu’il rattrape les petits détails qui avaient fait du tome précédent un album légèrement en dessous d’une saga ô combien culte. Le Sang des cerises deuxième saison, justement intitulé Rue des Martyrs, en plus de donner le point final à une série qu’on aurait aimé ne jamais voir s’arrêter, l’achève de la plus belle des manières. Visez un peu : qu’il est bon de retrouver Klervi et Isabeau Coustans, Zabo pour les intimes et descendante d’Isa, l’héroïne du premier cycle d’une série débutée en janvier 1980.
Les Passagers du vent, T. 9, Le sang des cerises - rue des Martyrs ©Delcourt, 2022
Les deux femmes sont dans le train qui les conduit dans le Finistère. À Pont-l’Abbé, pays bigouden, une lande de bout du monde où réside François Bourgeon. Après avoir dignement vengé Klervi, poignardée par son ancien maquereau, Zabo lui raconte les épreuves qui ont jalonné son existence meurtrie, depuis la Semaine sanglante jusqu’à sa déportation en Nouvelle-Calédonie aux côtés de Louise Michel, figure de la Commune.
François Bourgeon, qui fut l’un des premiers à accorder une vraie place d’héroïnes aux femmes dans un Neuvième art alors très macho, n’a pas flanché depuis : ces deux personnages, féministes de la première heure, ne s’en laissent pas conter par les mâles tout puissants, cerbères d’un patriarcat vomitif qui domine le monde. Le coup de crayon magique, touche sublime d’un graphisme travaillé au fil d’une vie au long cours, fait éclore ici ses plus beaux bourgeons. Ultime tome des Passagers du Vent, Rue des Martyrs en est aussi l’un des plus puissants.
Article publié dans le Mag ZOO N°89 Novembre-Décembre 2022
2 0