Pigiste pour Libération, Pierre Daum découvre par hasard un musée dédié au riz qu’il s’empresse de visiter. Une photo attire son regard : elle représente deux paysans indochinois en train de planter du riz en 1942 en Camargue. Son instinct le convainc très vite qu’il tient là un sacré sujet. Son livre, Immigrés de force, publié en 2009 n’a pas échappé au regard de Clément Baloup qui, dans la lignée de ses Mémoires de Viet Kieu, l’adapte en bande dessinée.
Les Linh Tho, qu’on peut traduire par « travailleurs soldats » ont été arrachés à leurs familles en 1939 par le colonisateur français en Indochine pour participer à l’effort de guerre. Ils sont 20 000 à être acheminés à bord de cargos, traités comme du bétail, pour venir travailler dans nos usines ou dans les exploitations agricoles. Leur expérience de la culture du riz a notamment été utilisée pour développer les rizières camarguaises. Mal nourris, mal logés, en butte au racisme « ordinaire », ils ont été exploités sans le moindre salaire, jusqu’en 1945 où la plupart sont repartis chez eux. Mais beaucoup sont aussi restés en France et ont fondé des familles.
Cette page, occultée de nos livres d’Histoire, aurait pu disparaître sans laisser de trace, mais Pierre Daum s’est mis en quête de recueillir un grand nombre de témoignages parmi les rares survivants de cette époque, tant en métropole qu’au Vietnam. Son enquête suscita des réactions indignées dans l’appareil politique, tant certaines vérités peuvent être dérangeantes.
Clément Baloup ne pouvait que s’emparer d’un tel sujet et ajouter un nouveau chapitre à sa propre démarche. Il le fait avec un talent graphique désormais consacré, peut-être un peu moins travaillé que son album précédent, mais toujours au service d’une narration exigeante qui ne néglige aucun aspect de cette triste période.
Un album, préfacé par Bernard Stora, qui ne laissera personne indifférent.