Visa Transit - T3

Se rendre au fin fond de la Turquie au volant d'une Citroën Visa : c'est le défi fou que se lancent Nicolas de Crécy et Guy, un de ses cousins, à l'été 1986 alors qu'ils n'ont que vingt ans et la vie devant eux. Trente-cinq ans plus tard, celui qui est devenu un des auteurs majeurs de la bande dessinée, raconte ce que sa mémoire veut bien lui livrer. C'est beau, poétique, dur, philosophique. Comme un écrit d'Henri Michaux. 

C'est l'été 1986. La catastrophe nucléaire de Tchernobyl vient de meurtrir l'Ukraine et une partie de l'Europe. Loin de là, Nicolas de Crécy et Guy, un de ses cousins, font le pari un peu fou de se rendre, à bord d'une Citroën Visa rongée par le temps et la rouille, jusqu'au fin fond de la Turquie. Ils sont jeunes, insouciants, épris de littérature, de poésie, de philosophie et de grands espaces. Ils collent sur le tableau de bord un Radar 2000, pièce d'un jeu de société comme seules les années 1980 ont su en créer. Et symbole désuet d'un monde d'avant l'ère numérique où toute authenticité était protégée.

Très vite, le road-trip s'annonce salé. Les petites étagères en carton remplies de bouquins, installées à l'arrière de l'avion de chasse, ne supportent pas la trajectoire du bolide, offrant aux deux aventuriers un matelas peu confortable, agrémenté des nombreux paquets de clopes vides torpillées sur le chemin. Le chauffage se bloque uniquement lors des fortes chaleurs. Les deux cousins voyagent en grosses chaussures d'hiver au cœur de la saison estivale, en pleins pays méditerranéens. Mais le plaisir de la route et de l'aventure l'emporte sur le reste et fait oublier « les nuits pourries ».

Visa Transit T.1
©Gallimard, 2019

Plus que le récit d'un road-trip, Visa Transit ressemble à un alibi pour Nicolas de Crécy. Une excellente excuse pour faire remonter ses souvenirs d'enfance, comme cette colonie atroce chez des religieux en Haute-Loire. Ou, plus tard, son invitation en tanth qu'artiste et ces quelques semaines de solitude intense en Biélorussie à l'occasion du festival Marc Chagall... Au fil de cet été 1986, que le Bourguignon ne retrace qu'à la force de sa mémoire et d'une poignée de clichés immortalisés en argentique, l'auteur du Bibendum Céleste et de Léon La Came nous immerge dans les nécessités de son existence : le voyage, le dessin, la rencontre.

Par extension, Visa Transit fait entrer le lecteur dans les maux de l'auteur : son errance médicale de plusieurs années pour mettre des mots sur ses maux de dos, qui commencent au cours de ce voyage de jeunesse, « les nuits pourries » engendrées par la vadrouille, les joies et les angoisses issues de l'enfance, sa manière de les surmonter... Ces trois tomes traversent le temps comme la traînée d'un avion à réaction. Près de cinq cents pages de doutes, d'essais, d'expériences, de joies, de peines. Un chemin jalonné par le poète belge Henri Michaux, policier du vers qui, suivant les deux cousins à moto tout au long de leur périple, interdit à Nicolas de le citer à tout bout de champ. C'est délicieusement surréaliste, et en même temps diablement ancré dans la réalité. Nicolas de Crécy est un Ovni dans le monde de la bande dessinée, de la narration et du dessin. en est une des pierres angulaires de son trait de génie et de son œuvre hors-normes.