Ce printemps verra la commémoration des 50 ans d’une tragédie de première importance dans l’histoire des États-Unis : la fusillade de Kent State. Derf Backderf, l’auteur de Mon Ami Dahmer, revient avec minutie sur cet événement.
Le 4 mai 1970 dans l’État de l’Ohio, des militaires ont tiré avec des armes de guerre sur des étudiants au coeur de l’université de Kent State. 4 morts, 9 blessés et… zéro condamnation.
Au moment des faits, Derf Backderf a 10 ans et habite à 30 kilomètres. Pour cet auteur toujours résident de l’Ohio, le sujet résonnait intimement : il y a consacré plus de trois ans de travail acharné, pour aborder les faits avec une rigueur d’historien tout en conservant l’humour désespéré qu’on aime chez lui.
Pour bien faire comprendre comment des soldats en sont arrivés là, il revient avec précision sur le contexte de l’époque : la paranoïa du président Nixon à l’encontre des communistes, la guerre du Vietnam et l’intervention récente des États-Unis au Cambodge, la peur de la mobilisation,les attentats fomentés par les activistes nommés weathermen… À un niveau plus régional, Derf Backderf décrit les ambitions du gouverneur, l’inexpérience du maire, l’incompétence du président d’université, les conflits de générations, la fatigue des forces de l’ordre et leur incompréhension de la réalité…
Le récit qu’il en tire est aussi passionnant qu’effroyable. Les 288 pages (dont 27 où il cite ses sources et explique ses choix narratifs) se lisent d’une traite. Une époque et ses enjeux renaissent, peuplés de portraits vivants. Il réussit à allier un point de vue littéraire, une maîtrise artistique et la rude quête de la vérité. Rares sont les travaux d’une telle cohérence.
Article publié dans le N°ZOO 76 - Mars-Avril 2020