Fasciné par la relation entre Batman/Bruce Wayne et Catwoman/Selina Kyle, Tom King en remet une couche avec ce volume qui explore à la fois le parcours tumultueux de cette romance et les répercussions dans la vie des deux célèbres amants. Une lecture à savourer doucement.
Le scénariste avait déjà fait de cette relation le centre de son précédent run sur la série Batman rebirth (actuellement réédité par Urban Comics), explorant l’évolution des deux amants qui devait les emmener vers le mariage. Ayant dû interrompre ses plans, il était assez logique que dès qu’il lui serait possible, King allait saisir l’occasion de boucler la boucle. Ces dernières années, il a pu affirmer son style par le biais de quelques brillantes mini-séries (Rorschach, Supergirl, Woman of Tomorrow, Strange Adventure, Mister Miracle…), démontrant la particularité de son regard, de sa narration très personnelle. C’est donc au summum de son art qu’il peut désormais conclure son épopée romantique.
Moi Bat, toi Cat
Dès ses premières apparitions, le charme de la troublante Selina Kyle a commencé à envouter le froid et sec chevalier des nuits de Gotham. Au fil des années, s’est alors organisé un interminable jeu du chat et de la souris, dans lequel les deux ennemis se sont rapprochés, éloignés et retrouvés dans un coin, se volant un baiser entre deux affrontements. Ce petit manège du « Je t’aime moi non plus » est finalement devenu un ressort presque comique au gré des décennies, tant personne ne semblait vouloir le dépasser ou même s’y consacrer pleinement avant King.
Ce dernier, bien décidé à mettre les pieds dans le plat, part donc du principe qu’après s’être résolus à se marier, Bruce et Selina vont vieillir ensemble, menant leur carrière en parallèle, puis progressivement acceptant le poids de l’âge. Finalement, entourés par leurs amis proche, Selina se tient, un soir, au chevet de Bruce qui finit par tirer sa révérence, mortellement irradié par le Dr Phosphorus. Elle n’est peut-être plus celle qu’elle fut, mais cette page qui se tourne est pour elle l’occasion de régler ses comptes avec ce passé, avec les compromis qu’elle a fini par accepter. Elle prend la route, retrouve celui qui fut jadis le Joker et le tue.
Catwoman n’a jamais été réellement une héroïne aussi lisse que Batman, avec les mêmes entraves morales, la même conscience qu’elle ne comprend pas. Bien au-delà d’une banale affaire d’assassinat, c’est l’acte d’une femme qui s’affranchit d’un code qu’elle respecte, mais qui ne la représente pas. Elle a jadis fait une promesse, il est temps de la respecter.
Batman Catwoman
© Urban Comics, 2022
Mosaïque organique
Mais ce geste ne vient pas de nulle part, il est la résurgence d’une histoire commune, d’une vie entre deux milieux, des rêves, des souvenirs. King nous plonge dans une mosaïque ou s’entremêlent le passé, le présent, parfois au sein de la même page. L’effet de lecture organique est troublant, car il nous oblige à une gymnastique constante, sautillant de l’un à l’autre, appréhendant le récit sous ses multiples facettes. Une lecture particulièrement immersive ou peut s’exprimer toute la subtilité et la justesse de l’écriture du scénariste.
King brosse le portrait extrêmement émouvant d’une héroïne forte, mais touchante. On n’apprend certes pas tous les détails de cette romance, on reste sur l’essentiel, fasciné par cette épopée amoureuse pleine de hauts et de bas, charmé par les planches de Clay Mann ou John Paul Leon, surpris par celles de Liam Sharp, en décalage avec le ton du scénario. On savoure lentement chaque nouveau chapitre, découvrant que même avec un personnage aussi « étudié » que Batman, il y a encore des possibilités d’étonner et d’émouvoir, en dehors des stéréotypes, des convenances et de tout ce que le Bat-lecteur peut attendre de retrouver chaque mois, en boucle.
Si Tom King représente une sorte de renouveau de l’écriture dite de « comics », il nous montre surtout la voie d’un terrain à explorer, loin des grands enjeux cosmiques et des archétypes indéboulonnables.
Une page se tourne, lentement.