Il y a de ces lectures coup-de-poing qui raccourcissent les nuits et font rater un arrêt de bus. Environnement toxique en fait partie. Une fois la première page lue, impossible de lâcher l’album avant le point final quelque 400 pages plus loin. Une plongée glaçante dans le quotidien d’une femme qui travaille dans les entreprises minières de l’Alberta, au cœur de l’exploitation sordide des âmes et de la terre.
Quand on a 21 ans et qu’on est originaire d’un petit village de l’île du Cap-Breton au Canada, on a peu de chance de rembourser son prêt étudiant. Katie le sait bien. En 2005, elle traverse donc tout le Canada pour trouver du travail dans les mines de sables bitumineux de l’Alberta. Dans une ruée vers l’or noir, la plupart des travailleurs des entreprises minières sont loin de leurs foyers et de leurs familles, prisonniers d’un entre-soi délétère. Katie passera deux ans dans ce monde d’hommes.
Toi, moi, toutes les autres
Elles ne sont pas nombreuses les femmes à travailler dans l’industrie minière. Encore moins dans les camps de travailleurs, véritables petites villes en autarcie. Alors, lorsque Katie débarque, elle ne passe vraiment pas inaperçue. Tout commence par quelques surnoms, des blagues lourdes et des tentatives de flirt plus ou moins subtiles. Puis, le quotidien devient progressivement étouffant : des regards insistants, des réflexions déplacées, la poignée de porte de sa chambre actionnée la nuit…

Environnement toxique
© Casterman, 2023
Ressources humaines
Pourtant Katie ne peut s’empêcher d’éprouver de l’empathie pour ceux qui pourraient être un voisin, un oncle. Ces hommes sont à la fois coupables et victimes. Victimes de l’isolement et de la dureté de leur travail, coupables d’un harcèlement lancinant et destructeur. Environnement toxique, c'est plus qu’une autobiographie, c’est l’histoire de travailleurs brisés par des industries déshumanisantes. C’est aussi et surtout un manifeste puissant contre toutes les formes d’oppression : capitaliste, sexiste, professionnelle…
L'auteur Kate Beaton présente sans concession les dérives des entreprises minières. L’utilisation par les ouvriers de machines et d’outils dangereux, leur proximité avec des émanations toxiques, l’absence de considération pour leur santé mentale. Mais aussi les effets funestes de cette industrie sur l’environnement. Des animaux retrouvés morts, des cours d’eau infectés, des populations locales malades.
Environnement toxique dresse le portrait de nos sociétés rongées par des maux trop souvent considérés comme normaux. Un cri pour briser le silence.