Sam Brausam est réparateur de chaudière le jour et le soir, il devient justicier de la Brigade Nocturne pour patrouiller dans les rues de Milwaukee. Sam devient alors The Blue Flame. Les gens l’admirent, le saluent dans la rue… Puis, un jour, alors qu’il se tient avec les autres sur une scène, à sourire, un inconnu surgit, une arme à la main et tire sur tout le monde…
Alternant deux fils narratifs, The Blue Flame se penche sur le trauma traversé par Sam Brausam suite à la perte de ses amis et de cette mission de justicier qui menait secrètement sa vie jusque-là. Sombrant progressivement dans une profonde dépression identitaire, il se réfugie dans une hypothétique mission imaginaire qui l’amène à devoir plaider la cause de l’humanité lors d’un procès à dimension cosmique devant le tribunal du Consensus.
My own private secret origins
Dès les premières pages, Christopher Cantwell trouble la lecture. Est-on vraiment dans un comics de super-héros de l’espace à l'image d'Adam Strange ? En fait pas vraiment. Car si Sam s’imagine le dépositaire d’une mission qui le dépasse par ses enjeux interplanétaires, c’est pour mieux se couper de cette réalité qui le ronge à petit feu depuis qu’il a survécu au massacre ayant fait de nombreuses victimes, dont les membres de son équipe. Lui qui avait une cause, des amis, voire même une femme qu’il aimait, se retrouve du jour au lendemain sans repères avec ses deux cannes pour poser un pied devant l’autre.
Plus de travail, plus de raison de vivre, il est désormais obligé de vivre sous la responsabilité de sa sœur Dee enceinte et de son compagnon Mateo.`

The Blue Flame © 404 Éditions, 2023
À travers cet homme déchu, le scénario s’intéresse à ce phénomène que l’on ne connaît assez peu en France, les RLSH (Real Life Super Heroes), ces quidams qui se transforment en justicier urbains afin de sillonner les rues, déguisés comme leurs modèles de papier, armés d’une matraque, d’une bombe lacrimo, d’un nunchaku. Ils portent un masque et « aident » la police en faisant régner leur propre justice. Qu’ils soient légitimes ou non, là n’est pas la question. Ces hommes et ces femmes suivent un cheminement personnel qui les amène à créer une nouvelle identité, un nom de code, une nouvelle vie secrète, une cause à défendre.
Ainsi, loin de se cantonner à d’éventuelles références à des figures super-héroïques de comics, The Blue Flame dresse surtout le portrait d’un homme torturé qui s’interroge sur sa vie, sur la perte de tout ce qu’il s’est progressivement constitué pendant quelques années, ces faits d’arme qui le transcendaient, sans lesquels il n’est plus désormais qu’un simple gars se perdant petit à petit dans l’alcool, amer et désillusionné.
Et c’est sur ce plan que l’album devient de plus en plus profond. C'est la vision d’une dégringolade, d’une prise de conscience et, en parallèle, d’une recherche de repères dans un ultime fantasme existentiel.
La tête dans les étoiles
Si Sam retrouvait régulièrement ses compagnons justiciers, s’il espérait briller davantage dans les yeux de Zoé, qu’il s’interposait, chevauchant sa moto, devant le camion d’un père kidnappeur, c’est certainement parce qu’il s’imagine être plus que le banal Sam Brausam, que quelque part l’attend une ultime mission qui verra le sort de la Terre entre ses mains, comme ses héros de jeunesse, ces figurines avec lesquelles il jouait enfant.
Toutefois, Cantwell brouille les pistes en donnant autant d’espace aux scènes « spatiales » qu’à l’étape « Born again » traversée par Sam dans la réalité. Plus on avance, plus il répète encore et encore ses arguments. On comprend bien les enjeux que doit affronter The Blue Flame auprès du tribunal du Consensus, tiraillé entre les valeurs positives de l’humanité qu’il veut défendre et l’évidence de ses défauts, la violence, la haine de l’autre qui a provoqué de nombreuses guerres. Tandis que sur Terre, le pauvre Sam ressasse ses souvenirs, son constat quotidien et la déliquescence de son existence.
Héros ou simple gars, Sam va devoir s’accepter tel qu’il est avec ses défauts et ses qualités, avec ses forces et ses faiblesses, par le biais d’un long processus de réflexion sur lui-même.

The Blue Flame © 404 Éditions, 2023
Une bonne surprise
Le scénario de Christopher Cantwell touche par sa profondeur et son intensité avec des portraits extrêmement fins, sans concession pourtant. Les uns et les autres agissent avec beaucoup de naturel. Ils nous parlent de nous, de notre rapport à nos illusions, à nos espoirs. D’un autre côté, il se focalise sur Sam lui-même en oubliant souvent d’approfondir les autres caractérisations, exceptés Dee et Matéo qui deviennent au fil des pages deux personnages très attachants.
Sur le plan graphique, c’est aussi une belle lecture. Les dessins sont assez classiques, mais suffisamment expressifs et dynamiques pour accompagner le récit comme il faut.
The Blue Flame s’inscrit ainsi dans la droite ligne de ces albums qui interrogent sur la nature de ces personnages aux couleurs bigarrées, sur ces regards derrière ces masques et la petite lueur qui vient s’y glisser.
Une découverte à lire.