Les Arêtes de poisson

Au cœur des profondeurs lyonnaises, cet album nous entraîne à la découverte d’un réseau souterrain à la fois énigmatique et captivant. Entre enquête historique, récits d’explorateurs et recherches archéologiques, il met en lumière les « arêtes de poisson », un patrimoine méconnu qui intrigue autant qu’il émerveille.

Ce récit-documentaire revient sur la découverte, en 1933, de ce dédale unique. Son nom vient de son organisation singulière : un long couloir principal, semblable à une colonne vertébrale, d’où partent de chaque côté des galeries disposées par paires. Au total, le réseau s’étend sur près de 1,4 km, comprend 34 arêtes et 16 puits.

L’album revient sur les décennies qui ont suivi la découverte du réseau. L’ingénieur missionné par la ville doit évaluer la solidité du site, suite à l’effondrement de Fourvière en 1930 et l’éboulement de Saint-Clair en 1932. Pendant des années, il surveille le réseau sans jamais parvenir à en saisir l’ensemble. En 1959, il met au jour entre 4 et 5 m³ d’ossements très anciens, qui seront évacués sans qu’aucune analyse ne soit menée. Sa mission est de consolider les galeries pour prévenir tout risque d’effondrement. Les années 80 sont marquées par une appropriation culturelle et les archéologues finissent par se saisir du site.

Né d’une idée de Serge Annequin et mis en récit par Mikaël Mignet, le scénario s’appuie sur une solide documentation et offre une narration dense. À travers lui, le lecteur découvre les enjeux liés à la reconnaissance des « arêtes de poisson » dans une ville où la préservation patrimoniale se heurte régulièrement aux impératifs de l’urbanisme. L’histoire s’articule autour de trois temps forts. D’abord, l’ingénieur envoyé par la municipalité dans les années 1930, chargé d’évaluer la stabilité du réseau souterrain, dans un contexte marqué par plusieurs effondrements. Puis, les explorateurs des années 1980, passionnés et clandestins, qui arpentent ces galeries interdites et militent pour leur reconnaissance. Enfin, les archéologues, dont les recherches cherchent à dater et à interpréter ce site unique.

En donnant la parole à ces trois acteurs, l’album met en lumière les différentes facettes d’une même histoire : entre vigilance sécuritaire, ferveur militante et rigueur scientifique.

Serge Annequin déploie un dessin semi-réaliste où la couleur devient un véritable outil narratif. Chaque personnage, traité en monochrome et doté de sa propre teinte, se distingue immédiatement dans l’obscurité des galeries. Ce choix astucieux permet de guider le lecteur au milieu d’une multitude de figures et d’offrir une lisibilité immédiate, presque instinctive. Les décors, quant à eux, se parent de nuances sobres, oscillant entre gris et bruns, qui renforcent l’atmosphère souterraine et mettent en valeur les silhouettes colorées. Les personnages sont souvent esquissés de quelques traits, mais les figures publiques conservent toujours une identité claire et reconnaissable. Enfin, à travers chaque plan, on perçoit la connaissance intime qu’a l’artiste de Lyon et le plaisir évident qu’il prend à en explorer les perspectives, les reliefs et les secrets.

Un album intéressant qui se penche sur un élément méconnu de notre patrimoine.