Avant de faire une petite pause, Ed Brubaker et Sean Phillips nous livrent une cinquième aventure de leur détective Ethan, à la recherche, cette fois, d’une jeune femme mystérieusement disparue…
On est fin 1989. Refusant de prendre de nouvelles affaires depuis un bail, Ethan profite de la vie tranquillement, entre le surf et les séances de ciné avec Anna, et finalement, il se dit que ce n’est peut-être pas plus mal ainsi. Cependant, pour honorer une vieille dette, il accepte de rendre un service à un voisin qui lui demande de retrouver sa belle fille Rachel, disparue depuis quelques jours.
Le détective commence donc son enquête et finit par découvrir que jadis, adolescente, elle aurait évolué dans un cercle de trafiquants de la même famille, avec sa mère, et aurait subi à plusieurs reprises des abus sexuels. Ethan comprend alors que derrière cette disparition, il est davantage question de vengeance, d’une course contre la montre, ponctuée de cadavres… Mais les victimes sont-elles vraiment celles que l’on pense ?
Detective story
Toujours dans la tradition des récits noirs, tendance « hard-boiled », propre à Hammett ou Chandler, Ed Brubaker et Sean Phillips retrouvent leur héros, immanquablement empêtré dans une histoire bien plus complexe que prévue. Tout le sel du récit va alors consister à rassembler les éléments qui vont à la fois lui permettre de retrouver la piste de Rachel et mieux comprendre ses « motivations ». Le héros reste fidèle à lui même, il ne s’encombre pas des règles, ce qui l’amène à régulièrement s’aventurer sur des sentiers glissants, ou tout simplement accepter de suivre, comme ici, une voie un peu plus « borderline ».
On n’est jamais réellement dans un cadre ultra moral avec ces deux auteurs, il y a toujours un moment où les limites sont foulées, où il faut sortir des bonnes manières. Toutefois, on comprend très bien qu’Ethan, Anna ou les autres répondent principalement à un sens très profond de l’éthique, une sorte de volonté opaque de « faire eux-même justice», qu’importe la méthode. Et à ce titre, Ethan, de par les services qu’il propose, représente bien cette démarche qui l’amène à faire des choix et prendre les choses à bras le corps, qu’importe si cela signifie s’éloigner de la loi.

Reckless - Descente aux enfers © Delcourt
Héros, mais pas trop
Avec Descente aux enfers, on est au cœur de cette idée d’opacité morale. Ethan se retrouve avec Rachel en plein dilemme. Au moment où il en apprend un peu plus sur les dessous de sa disparition et quels sont ses objectifs, il comprend qu’il ne peut pas la juger, mais surtout il prend la décision de l’aider… Ce qui le met en marge d’un héroïsme plus classique et formaté, comme on peut y avoir droit habituellement, un peu partout.
En entretenant depuis le début cette ambivalence chez pratiquement tous ses perso, Brubaker amène l’idée non manichéenne que la réalité, et parfois donc la fiction, n’est jamais réellement noire et blanche, que certaines situations peuvent amener ses personnages à s’éloigner des conventions. Mais en contre partie, il s’agit là aussi d’une des constantes dans les récits noirs, cette faculté à nager à contre courant, contre les codes, avec des détectives qui n’ont rien des parfaits héros. Et c’est une tendance très « américaine », cette idée d’une justice personnelle légitime, abstraite des règles, qui prône l’efficacité et le coup de genoux dans les… dents.
Le scénario de Brubaker garde une très grande finesse dans les portraits brossés, avec un petit côté sec et froid dans le style, dans les dialogues, qui ajoute néanmoins de la profondeur dans les caractérisations, à travers les non-dits, les mots transversaux que l’on ne prononce pas, mais qui ont parfois plus de sens que les autres. De son côté, Sean Phillips continue de coller parfaitement aux ambiances, même si je trouve que son graphisme perd en émotion, en vibration. Peut-être une conséquence du tout numérique…
Décidé à prendre une pause dans la production des volumes de Reckless, le duo va prochainement se pencher sur d’autres projets, comme ce que l’on va très vite découvrir, toujours chez Delcourt. Alors patience…

Reckless - Descente aux enfers © Delcourt
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