Ce nouveau récit percutant de Yuji Iwahara chez Ki-oon est une fable brutale sur la nature humaine. Vous avez deux heures (avant qu’on nous anéantisse).
Clevatess est une bête gigantesque qui règne tranquillement sur son petit bout de terre jusqu’à ce qu’une poignée de héros déraisonnables tentent de la tuer sans véritable raison avouée. L’agression initie un double mouvement de la part de la créature. Elle se lance dans un premier temps dans une vengeance immédiate, inflexible et implacable qui sonnera la destruction totale du royaume attaquant. Elle cherchera simultanément la réponse à une question plus dangereuse encore : si tous les humains sont semblables au roi qui a ordonné son exécution arbitraire, faut-il détruire l’humanité pour se prémunir d’une récidive future ? Seules deux survivantes peuvent espérer orienter la réflexion dans une bonne direction. La première est un nouveau-né impuissant qu’une mère mourante a confié au monstre destructeur. Son développement pourrait prouver l’absence de malignité innée chez l’humain. La seconde est un reliquat d’héroïne. Morte dans l’assaut du repère de la bête, elle se voit ressuscitée par Clevatess qui, en lui transfusant son sang, la rend immortelle et subordonnée. Il lui faudra batailler contre elle-même et contre l’incompréhension crasse du monstre pour conserver l’enfant en vie. Le monde maintient malheureusement sa perfidie constante et les étapes de compréhension de Clevatess seront pavées de conflits brutaux pas véritablement à notre avantage.
Clevatess, tome 1
©Yuji Iwahara / LINE Digital Frontier
EN TOUTE CHOSE IL FAUT CONSIDÉRER LA FIN
Yuji Iwahara appose sa patte par tout. L’auteur s’incarne où on ne l’attend pas et remodèle un sujet qu’on pourrait croire simple en y apposant des problématiques supplémentaires et un trait acéré qui nous happe immédiatement. Nekoten, le Monde de Misaki, le Roi des Ronces, Dimension W, toutes ses séries recèlent une noirceur qui lui est propre. L’auteur touche du doigt ce qui permet de transcender l’humanité depuis ses débuts. Il s’y attaque ici frontalement. Au lieu de présenter des opposants qui veulent s’en extraire, il propose une autre façon de découvrir la marche du monde, de l’étudier, sans bonne volonté de la part d’une entité extérieure qui détient le pouvoir d’en effacer toute trace. Que constitue la norme pour quelqu’un qui découvre l’humanité par le mauvais côté de la cuvette des toilettes ? Quelqu’un, en outre, dont les enjeux biologiques dépassent totalement les nôtres ?
Avec un peu de chance, l’humain pourrait devenir une forme de vie plus complexe à appréhender à mesure que les niveaux de maltraitances s’accumulent et en façonnent l’amertume sous ses yeux.
Article publié dans le mag ZOO MANGA N°3 Mai-Juin 2022