Frieren décortique l’inéluctabilité chez Ki-oon. Ce voyage calme et philosophique est une véritable invitation à prendre du recul sur la course effrénée du temps.
L’elfe Frieren a randonné dix petites années, vaincu le roi des démons, puis elle s’en est retourné chez elle, stoïque, comme d’habitude. Un demi-siècle plus tard, elle retrace son parcours avec nostalgie à mesure que tous ses vieux amis et compagnons de route périclitent ou meurent. 10 ans, 50 ans, ce n’est rien pour elle dont la vie se compte plutôt en milliers d’années, mais c’est énorme pour cette intrigante humanité qui cherche à profiter au mieux du maigre crédit temporel que la vie lui a alloué.
Frieren, Tome 1
© SOSO NO FRIEREN © 2020 Kanehito YAMADA,Tsukasa ABE / SHOGAKUKAN
Un peu de temps libre
L’immortalité est un fardeau que le manga met très bien en scène. Manji, dans l’Habitant de l’infini, en est l’exemple typique : éreinté par sa propre longévité, désintéressé de ses congénères, antipathique et patibulaire, il ne se soucie plus guère de rien.
Frieren prend un parti agréablement inverse puisque cette héroïne profite de son éternité pour s’ouvrir au monde dans un incessant jeu de miroir mémoriel. Que ressentir quand sa propre épopée devient légende, voir conte de fées ? Comment laisser une trace de son existence alors que l’immensité du temps est vouée à tout avaler ? Malgré une forte obsession thématique, Frieren réussit l’exploit de se renouveler sans cesse en répondant aussi avec fraîcheur aux questions : quelles aventures peut-on mener dans un monde relativement en paix ? Peut-on s’amuser au cours d’une quête ? Un bon récit magique se doit-il d’être désespéré ?
Fugace et fragile
Dans un premier temps, un doux, mais constant rappel du gouffre de perception temporel entre humains et elfes renforce par touches fines la réflexion sur le caractère éphémère du récit. Un aller-retour touchant entre moments d’amitié formateurs, voire fondateurs, et leurs conséquences bénéfiques dans le présent consolide une façon optimiste et joyeuse de considérer le vivant. Enfin, toujours dans ce jeu temporel incessant, la série s’amuse à détruire notre perception égotiste de la vie en la replaçant dans l’immense contexte de la marche du monde. La prise de recul appuyée que permet le témoignage d’une entité éternelle pousse à la reconsidération fondamentale. L’élargissement de notre champ de perception en est faramineux, la notion de souvenir se fait d’autant plus cruciale.
Frieren répond ainsi avec tendresse aux angoisses existentielles historiques et inébranlables de l’être humain. Elle nous incite chaleureusement à nous extraire de nous-mêmes pour mieux percevoir ce qui restera important, une réalisation après l’autre.
2 0