Si le livre est une exception culturelle en France, ceux du Japon ont aussi une très belle vie. Voici le récit de leurs calmes derniers instants.
Jimbochô est un quartier japonais aussi célèbre qu’il est discret. Loin du faste d’Akihabara, la Mecque immédiate d’un premier voyage au pays des mangas, le voisinage déploie le charme subtil de la seconde main littéraire à bas prix, à la fois paradis du bibliophile, du chineur et de l’appréciateur de balades dans un Japon à taille humaine. Témoin de la capacité d’hyperfixation géographique du pays, le quartier est un refuge pudique de la tradition japonaise qui mêle tarifs bas, ambitions littéraires et artisanat de l’objet qui a déjà vécu. Kei Toume, de son côté, est une artiste narrative qui plonge depuis 30 ans au plus profond de ses personnages. Quoi de plus évident, alors, qu’elle se plonge au passage dans l’âme culturelle de son pays ?
Les triplettes de Livre-ville
Trois sœurs héritent d’une librairie d’occasion sortie de nulle part. Qu’en faire ? Feu leur grand-père a formellement émis le souhait de voir cette échoppe perdurer. Fardeau ou bénédiction ? Leur père leur demande de prendre le commerce en main avant de repartir avec insouciance aux États-Unis, pays dans lequel il enseigne.
© KARAKIDAKE NO KOSHOGURASHI © 2021 by Kei Toume/SHUEISHA Inc.
Que réservent aux sœurs, dès lors, les vieilles étagères, les vieux clients et les innombrables livres qui leur sont encore inconnus ? Et ce monde du commerce qui recèle tant d’interactions inattendues et tant de petites tâches ingrates ? Les rêves ne suffisent pas à maintenir une boutique à flot. Ce nouveau job sera-t-il si paisible, surtout au crépuscule de sa pertinence ?
Le doux bruit d’une page qu’on tourne
Comme à son habitude, l’autrice de Sing « Yesterday » for me et des Lamentations de l’agneau sublime son récit en l’emmitouflant dans de petites tragédies sentimentales ouatées qui laissent une grande place au doux conflit organique. C’est en outre un délicieux plaisir que de se plonger pleinement dans un nouvel univers de livres, bien différent de l’exaltation du monde éditorial orienté manga/animé dont les trépidations nous atteignent bien plus souvent. Jimbochô Sisters suinte du plaisir du livre, plein et entier, tout en découverte, en soin et en débrouillardise. La série se laisse aussi à la joie d’intrigues interpersonnelles délicates qui sourdrent de ces éléments, teintant l’engouement littéraire de manigances totalement et bassement humaines.
Sans surprise, l’ensemble est adorable et nous replonge dans la nostalgie éternelle du vieux papier et des multiples évocations qui l’accompagnent, entre vie de famille et de quartier, vie intime et exogène.