Un best-seller revisité
De l’imaginaire… au dessin
Dans l’imaginaire collectif associé au livre, amplifié par les thrillers sortis au cinéma, Millenium est un roman extrêmement sombre, teinté d’une ambiance pesante. Quoi de plus normal, vu que l’intrigue posée par Stieg Larson prend place dans les pays nordiques. On s’en rendait déjà compte dans les livres, mais c’est encore plus évident dans les films : l’action prend souvent place au crépuscule, voire de nuit, en raison de la durée des journées en Suède.
En se réappropriant l’oeuvre, les auteurs de la BD se sont affranchis des nuances de couleur qu’on a déjà pu apercevoir au cinéma. Comme par opposition, ils nous donnent à contempler des couleurs vives, qui contrastent énormément avec l’image qu’on a de l’univers du livre.
Blomkvist tentant de percer le mystère de la famille Vanger
C’est particulièrement évident lorsque Mikael Blomkvist se retrouve sur l’île où vit la famille Vanger. Dans le livre, puis dans les films, l’ambiance est opressante. La forêt est inhospitalière, la neige étouffe les sons. Dans la BD, on souffre nettement moins de ce sentiment de suffocation. Crépuscules, éclairages artificiels, ambiances tamisées, la gestion de la lumière y est parfaite, mais sert finalement peu une atmosphère censée être angoissante.
Le parti pris de la bande dessinée de se dissocier de la trilogie initiale, et donc des attentes des lecteurs, est évidemment intéressant. D’autant plus que les couleurs sont parfaitement maîtrisées. Mariées au trait précis de Homs, on a là un dessin efficace, qui sait retenir l’attention. Son côté plus léger permettra à ceux allergiques aux scènes oppressantes d’apprécier la série. Et si l’ambiance graphique n’est pas aussi glaçante que celle des films, elle est largement compensée par le scénario.
Le rythme s’accélère
Réécrire un pavé tel que Millenium pour l’adapter à un format aussi court qu’un film ou qu’une BD nécessite de redécouper le récit. Le polar nordique a pour particularité un rythme lent, qui prend le temps de construire les personnages. Ce type de thriller ne joue pas sur l’accumulation de meurtre pure et simple, mais dénonce d’importants sujets de société : ici les violences faites aux femmes et les magouilles financières de grands groupes industriels.
Lisbeth, toujours prête à en découdre !
Il faut bien admettre que la BD s’en tire très bien. Elle a notamment le mérite de ne pas supprimer l’intrigue économique, souvent jugée légèrement rébarbative, et pourtant essentielle à la construction et la rencontre des personnages. Mais, comme les films avant lui, le format BD annihile le rythme du livre. La tension monte vite, page après page, sans laisser au lecteur le temps de souffler et d’apprendre à réellement apprécier toute la complexité des personnages. Difficile, cependant, de reprocher cela aux auteurs : il est littéralement impossible d’apporter la même masse d’informations dans ces formats que dans le roman.
L'enquête reprend avec le tome 3 de Millenium
Si, fatalement, des raccourcis scénaristiques existent, les protagonistes sont toujours introduits intelligemment, fidèles à l’histoire. On navigue d’un point de vue à un autre sans se perdre. Nécessairement, le rôle des personnages secondaires a été diminué dans les adaptations : le premier tuteur de Lisbeth Salander est à peine esquissé, les personnages de la famille Vanger à interroger bien moins nombreux, alors que la complexité de l’arbre généalogique des Vanger est justement une des difficultés auxquelles doit faire face Blomkvist.
On regrettera quelques ajouts non nécessaires, comme la fille de Blomkvist, mais la BD s’en sort en déconstruisant la linéarité du récit. Elle place ici et là quelques flashbacks bienvenus, mettant en scène des moments clés de l’intrigue de façon bien plus pertinente que dans les romans et les films.
Avec les adaptions, c’est au final un bel hommage qui est offert à l’auteur originel. Tous à leur manière respectent le récit initial, une belle performance, quand on connaît la densité du roman et les nombreuses intrigues qui s’y croisent.
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