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Dossier la cuisine dans le manga : Eternal izakaya

Les récits culinaires sont légion au Japon et, par extension, en France. Toutes les papilles trouveront un album à leur goût dans des déclinaisons surprenantes.

La cuisine est un élément prépondérant de toute culture. Elle transmet des valeurs autant que des ambitions. Elle révèle des choses sur soi-même, sur autrui, elle regroupe et incite souvent au partage social. Lorsqu’elle n’est pas l’élément fondamental d’un récit, elle revêt tout de même son occasionnelle portée symbolique dans une grande majorité des récits. Scène de vie au quotidien autour de la table familiale, détente au restaurant, rendez-vous amoureux au café, les moments clefs qui y sont liés sont indénombrables et leur champ d’action universel.

Lecteurs et lectrices comme auteurs et autrices gardent ainsi en tête ces fortes potentialités narratives jusqu’à parfois requérir un récit qui habite totalement son caractère gastronomique et dégustatif. Encore inédits, Oishinbo, le récit d’un salaryman arpentant le pays à la recherche du plat ultime et Cooking papa, l’histoire d’un cordon bleu familial, par exemple, ont tous deux débuté au début des années 80, puis allègrement dépassé la centaine de volumes. Sans même s’appesantir sur les plus grands records de parutions japonais, le panorama constitué par ces histoires est d’une vasteté considérable.

De l'assiette à la bibliothèque

En 2005 apparaît dans nos librairies dorénavant indispensable Gourmet solitaire de Jiro Taniguchi qui deviendra le fer de lance français d’un sous-genre narratif discret, mais vivace qui se concentre sur le plaisir intime de la consommation de platsdélicieux. Plus perceptible en drama, comme le démontre la richesse du catalogue Netflix sur le sujet (Kantaro : the sweet tooth salaryman, Samurai Gourmet, etc.) et la longévité de sa propre adaptation (9 saisons en 2021), cette formule a ouvert la voie à des séries encore plus personnelles et humaines qui ont trouvé une place dans le coeur de lecteurs et lectrices avides des saveurs d’un Japon qui apparaît tour à tour nostalgique ou fascinant.

Après des titres qui portaient fièrement le drapeau de la cuisine du quotidien, comme Mangeons ! et Mes petits plats faciles, est arrivée la série culinaire la plus envoûtante : La Cantine de minuit publiée au Lézard Noir. Elle a affiné ce qui fait la force de ses voisines avec une finesse trois étoiles. Elle entremêle à un Japon surprenant, touchant et secret, des recettes du quotidien aussi faciles qu’alléchantes qui atteignent autant les habituées du pays que les néophytes curieux.

Les deux livres de cuisine qui en ont été tirés témoignent de lafascination que peuvent générer les véritables recettes de ce pays et rejoignent une longue liste d’ouvrages qui abordent le sujet par un prisme similaire mâlant pop culture et accessibilité.

La cantine de minuit, Tome 1

La cantine de minuit, Tome 1  © Yaro ABE / SHOGAKUKAN

Mangez-moi, manfez-moi, mangez-moi

À l’inverse total de cet attrayant réel apparaissent les séries d’action ou d’amour qui jettent aux orties toute retenue (mais pas toute cohérence). Que la nourriture soit un enrobage (Heartbroken Chocolatier, J’aime les sushis) ou un prétexte (Toriko), ce genre de récit plus grand public qui s’articule autour de la nourriture voit s’affronter deux tendances majoritaires.

La première dont le héraut serait bien entendu Food wars, se focalise sur des recettes farfelues à la limite du réalisable et prend du plaisir à voir des cuisiniers virtuoses improbables s’affronter quasiment à mort dans des joutes épiques qui mettent à mal leurs convictions profondes de chef. Iron wok, il fut un temps, mais aussi Hell’s kitchen et l’inoubliable Yakitate Japan en sont d’autres fiers représentants. Un héros aussi étrange que providentiel vient typiquement taper un grand coup dans la fourmilière avec des recettes délirantes et s’impose grâce à une violente inventivité. Les péripéties sont effrénées et les réactions des inévitables jurés finissent toujours par prendre des proportions hallucinantes.

Ratatouille de vouivre à l'ail nouveau

À mesure que des séries s’imposaient dans ce domaine, d’autres auteurs s’efforçaient de réinjecter de la plausibilité dans leurs recettes en retournant l’énoncé. Le monde de leur histoire devient alors officiellement magique, mais la description de leurs mets se focalise sur une faisabilité étrangement crédible.

La réalisation d’un plat plus ancré dans le concret réapparait à mesure que les auteurs et autrices égrainent des instructions détaillées aux principes de préparation tout à fait concevables. Didactique à souhait, le Japon aime décortiquer ses procédés gustatifs de façon à ce qu’on puisse prétendre à les répéter.

Gloutons & Dragons, chez Casterman, en a fait son point fort en réussissant à fusionner intimement aventure palpitante, hérosintrigants, wordbuilding lesté et recettes aux ingrdients incomparables. La Cuisine des sorciers, spin-off inopiné de l’excellent Atelier des sorciers profite de son statut de série dérivée pour se déconnecter de ses aventures initiales et renoue avec un rythme tranche de vie plus emblématique.

La cuisine des sorciers, Tome 2

La cuisine des sorciers, Tome 2 © Kamome Shirahama, Hiromi Sato / Kodansha Ltd.

Une dernière bouchée

Fantastiques ou réels, tous ces récits partagent, un amour immodéré de la nourriture bien faite qui se traduit systématiquement par des flots de plaisirs gustatifs se répercutant jusque chez les lecteurs et lectrices, prompts à demander un second service.

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