L’époque engendre le propos. Décrypter les modes de divertissement revient à envisager le monde. Une tendance assumée n’est en réalité que le point focal d’une pratique dont on peut relier les participants en filigrane.
Nous sommes en 2022 et, comme souvent dans l’histoire de l’humanité, il y a eu un avant et un après. Pendant quelques mois, les daims de la ville de Nara ont arpenté des méandres urbains abandonnés, contemplant le vide qui leur revenait peut-être de droit. Le trope de la nature reprenant ses aises est un sous-thème très apprécié de l’apocalypse. Porteur d’autant de messages que d’opportunités narratives, il est la preuve la plus frontale que le divertissement dessiné ne manque pas d’appels concrets au changement sociétal. Autre tendance narrative, plus discrète, liée à l’environnement : les récits de voyage qui font la part belle à la nature ambiante. Le double émerveillement des personnages et des lecteurs/lectrices n’est, bien entendu, pas du tout anodin.
Au grand air, tome 1
©YURUCAMP ©2015 afro / HOUBUNSHA CO., LTD
LE PETIT SPECTACLE DU GRAND
On le retrouve par exemple dans Au grand air à travers les péripéties d’un groupe scolaire dédié au camping sous toutes ses formes. En solo, en groupe, avec ou sans prof, onsen ou curry fait maison, le plaisir de scruter la montagne jour et nuit en profitant de l’air frais et du résultat de son labeur est intarissable. Plus frontal, moins didactique, mais pourtant encore plus formateur, le du Lézard noir s’interroge directement sur les méfaits de l’humanité en développant la pensée éponyme d’un Grand Tout auquel nous ne devons jamais oublier notre participation. Son auteur assume pleinement l’envie de montrer la Terre qu’il déploie dans des doubles pages et à travers des prises de vue grandioses, peintes et utilisées comme décor théâtral conscient. Il replace l’humanité dans son contexte, offrant ainsi une nature brute qui joue son propre rôle, prépondérant dans la marche des choses
Mushishi, tome 1
©2004 Yuki Urushibara / Kodansha Ltd., Tokyo.
L’ARRIÈRE-PLAN COMME ENTITÉ INDISPENSABLE
Plus subtil dans son approche, Mushishi cumule concept microcosmique, nature luxuriante incomparable, mystérieuse, fondamentale et conflits de cohabitations déséquilibrés. L’ensemble du récit transpire de cette fascination pour le vivant désanthropocentré, mais symbiotique au travers des rondes incessantes du personnage apparenté à un herboriste.
Les Promeneuses de l’apocalypse, réintègre narrativement la prise de conscience de son environnement, inhérente à toute quête géographique, mais souvent implicite. Wandering witch, dans une moindre mesure, lie aussi voyage et environnement. Mais c’est Dans le sens du vent qui s’attardera le plus subtilement sur une spatialisation majestueuse réelle apte à réhabiliter le monde qui nous entoure à grand coup de paysages concrets à couper le souffle.
Article publié dans le mag ZOO MANGA N°4 Juillet-Août 2022
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