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Exposition Ryôichi Ikegami

Aller à Angoulême visiter l’exposition À corps perdus, ce n’est pas perdre son temps ! Le dessin puissant de Ryôichi Ikegami, savamment mis en valeur par le travail des commissaires d’exposition, conquiert d’emblée l’œil du visiteur.

Cette exposition très réussie sur Ryôichi Ikegami est en continuité avec celle sur Shigeru Mizuki organisée en 2022 à Angoulême par le même duo de commissaires d’exposition, Xavier Guilbert et Léopold Dahan. Avec une scénographie adaptée, on suit chronologiquement la carrière de l’artiste, qui, à près de 80 ans, est toujours en activité.

Les premières années

Spiderman, vu par Ryoichi Ikegami, Angoulême 2023

Spiderman, vu par Ryoichi Ikegami, Angoulême 2023
©Photo de François Samson

Il publie en 1962 son premier récit. Les planches exposées issues de ses premières œuvres montrent l’influence, entre autres, de Tezuka, même si « le dieu du manga » n’a jamais été un modèle pour Ikegami. Il lui fallait juste répondre à la demande des éditeurs. Lui veut faire du gekiga (manga adulte). En 1964, Ikegami devient pour deux ans un des assistants de Shigeru Mizuki sur Kitaro le repoussant.

Dans les années qui suivent, il publie différentes histoires dont il assure texte et dessin. L’exposition montre par exemple des planches d’une version manga de Spiderman, bien plus adulte. Cependant, les éditeurs trouvent ses textes trop sombres, aussi il finit par décider de n'être que dessinateur (ce qui est alors rare au Japon).

Les thématiques du dessinateur

S’il ne sera plus scénariste, Ikegami sera considéré comme un véritable auteur par les spécificités de son travail, quel que soit son scénariste. Son style immédiatement reconnaissable lui a permis de transcender le manga de genre.

Planche originale de Ryôichi Ikegami, Angoulême 2023

Planche originale de Ryôichi Ikegami, Angoulême 2023
©Photo de François Samson

Sa fascination pour les corps, autant masculins que féminins, est visible au travers des nombreux originaux présentés. On constate une progression dans la finesse et la justesse du traitement graphique, au cours des années 70 puis 80. Le visiteur de l’exposition, même s’il ne connaît pas l’œuvre, ne peut que le constater. Et si Ikegami a le choix, c'est le corps masculin qu’il magnifie. Un corps bodybuildé, mais qui reste sensuel. L’artiste a eu la révélation devant les films de Bruce Lee : il veut transmettre à ses lecteurs la fierté d'être asiatique. Dans certaines œuvres présentées, on peut observer que cette fascination pour les corps parfaits n’occulte pas ceux qui sont hideux, auxquels il apporte également un grand soin... et qui sont parfois plus intéressants graphiquement.

Technique intéressante à admirer dans le cadre de l’expo : le rapport au mouvement, avec une démultiplication du personnage, comme s’il y avait un arrêt sur image. Et dans certaines planches, on observe un astucieux système de cercles pour faire un point focal sur un personnage, en action ou initialement noyé dans une case. Des gros plans sur les visages voire les yeux sont souvent utilisés, accentuant la tension dramatique.

Le visiteur découvre d’un œil amusé qu’Ikegami a recyclé à plusieurs reprises l’iconographie chrétienne, pourtant très peu connue au Japon, avec une déclinaison de la descente de la croix (tantôt avec une femme dans les bras d’un homme, tantôt l’inverse).

L’expo propose également de belles planches en couleur, qu’Ikegami s'amuse beaucoup à créer. A noter que Neal Adams est une référence pour lui, notamment pour la couleur.

Enfin, le succès... avec trois scénaristes clés

La suite de l’exposition met en avant les travaux d’Ikegami avec ses trois principaux scénaristes.

Tetsu Kariya va permettre à Ikegami de connaître un premier succès commercial avec Otoko-Gumi (Le clan des hommes), à partir de 1974. Le style s’affirme, tout en étant très ancré dans les 70s. Avec Kazuo Koike, Ikegami va beaucoup progresser et connaître un grand succès avec Crying Freeman. L’exposition offre entre autres une mise en parallèle de la première rencontre de Freeman et Emu Hino avec la dernière page de la série. La collaboration avec Buronson, sera la plus prolifique : Ikegami revient sur le devant de la scène dans les années 90 avec Sanctuary qui lui permet, au sommet de son art, de réaliser de splendides compositions.

Des travaux avec d’autres scénaristes sont également exposés, tels ceux avec Riichiro Inagaki, avec qui il dessine actuellement Trillion Game. Le sujet semble moins inspirer graphiquement le dessinateur, au vu des originaux présentés.

Pour conclure la visite

La fin de la visite est consacrée à l’évocation de sujets transversaux afin de donner envie de revoir l'expo sous ces angles : par exemple, la représentation de la mode (le dessinateur achète des revues pour dessiner des vêtements en phase avec l’époque), le Masculin / Féminin et les tatouages auxquels il s’est intéressé dès le début de sa carrière. Ce dernier thème nous offre des dessins particulièrement spectaculaires.

Le making-of de l’exposition

Les commissaires ont commencé à travailler sur l'exposition en juin. Ils discuté directement avec Ikegami pour la sélection des œuvres à exposer. Après une première sélection de 2500 planches, ils ont repéré les redites et gardé les plus importantes, pour arriver à « seulement » 210 planches exposées. Il leur fallait réfléchir au propos à mettre en avant. L’artiste a donné très peu d'interviews au cours de ses 60 ans de carrière. Il a donc que Xaver Guilbert et Léopold Dahan fassent des recherches pour pouvoir contextualiser au mieux les œuvres exposées.

Xavier Guilbert commissaire d'expo, Angoulême 2023

Xavier Guilbert commissaire d'expo, Angoulême 2023
© Photo de François Samson

Enfin, ils ont travaillé sur la conception du catalogue À corps perdus, très documenté, avec de nombreuses reproductions d’originaux, bien contextualisés. Cet ouvrage édité à 1500 exemplaires (vendu désormais uniquement sur la boutique en ligne du festival) est un must have.

Angoulême2023

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