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Au service de sa majesté le lecteur

Dans l’industrie des services, le client semble roi. En manga, les auteurs n’oublient pas de leur donner un petit os coquin à ronger de temps à autre.

Le fan-service est une notion bien ancrée dans la littérature visuelle japonaise. On l’y retrouve très régulièrement, de façon plus ou moins marquée, plus ou moins larvée, participant à des œuvres de fiction dans lesquelles il fait parfois sens ou se montre parfois gratuitement. Il prend des formes provocantes ou passe par des suggestions plus subtiles. L’auteur démultiplie simplement les apparitions de culottes, joue avec des postures, des cadrages, pour induire une potentialité. Si le fan-service continue de pulluler à travers une constellation d’œuvres Ecchi dont l’existence sert souvent de prétexte à un certain exhibitionnisme involontaire, un pan de la production choisit de le circonvenir, notamment en ancrant les thèmes corporels de leur récit dans une réalité (ou contre réalité) qui leur permet d’échapper au genre.

Au service de sa majesté le lecteur

Partners 2.0

© KOUIUNOGAII © 2020 by Souryu /SHUEISHA Inc.

Deux dos, dix fois plus de doigts

Partners 2.0, par exemple, narre le détachement sexuel de deux partenaires étouffés dans leurs précédents couples. Déterminés à ne pas répéter les mêmes erreurs, ils se retrouvent au nexus de leurs désirs, se laissant vivre à deux en laissant de la place pour l’expression de leurs envies respectives. En y trouvant leur compte sans engagement formel, ils démultiplient au passage leur plaisir par une connivence naturelle qu’ils ne poussent pas à bout. Leur corporalité et la gestion de leur intimité échappent dès lors à la gratuité inhérente au fan-service classique à l’inverse d’une série comme Love fragrance qui joue plus sur desprises de vues qui tendent vers le voyeurisme impudique malgré sa thématique physique forte et profondément intéressante.

Au service de sa majesté le lecteur

New Normal, tome 1

© Akito Aihara 2021/ FUNGUILD, Inc.

L'attrait de l'inconnu

New normal, de son côté, se joue des codes du genre en réinventant un nouvel espace corporel émoustillant interdit.À l’instar de l’indécence des mollets moyenâgeux, la série se pose la question du caractère affriolant des espaces visuels interdits à l’a une du coronavirus. Et si les bouches étaient dorénavant recouvertes à tout moment, leur révélation soudaine à un âge ou celles d’autrui nous furent systématiquement interdites ne relèverait-il pas de l’intimité la plus pure et la plus enflammante ? Leur jonction ne s’apparenterait-elle pas à l’acte le plus scabreux qui soit ? Et pourtant, ce ne sont pour nous que des bouches qu’ils découvrent avec timidité et naïveté, utilisant les codes d’un fan-service enfantin pour nous livrer une histoire de tâtonnement corporel pleine de charme, mais sans charmes.

Citons enfin Blooming Girls qui aurait pu aisément se tourner dans le graveleux facile mais qui s’en joue pour renforcer le désarroi et la curiosité de participantes qui poussent lentement les portes de la perception des rapports charnels.

Article publié dans ZOO Manga N°7 Mars-Avril 2023

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