Porter à l’écran les nouvelles les plus frappadingues de Murakami est une gageure. Un défi que relève pourtant haut la main Pierre Földes avec ce film d’animation.
Avec Saules aveugles, Femme endormie, adaptation de six nouvelles issues du recueil éponyme du romancier Haruki Murakami, on quitte le territoire familier des anime japonais pour entrer dans l’inconnu, celui de l’objet filmique non identifié… et particulièrement cosmopolite.
À la tête de cette coproduction franco-canado-luxembourgeoise, Pierre Földes, musicien et compositeur chevronné dont la triple culture américaine, hongroise et française pourrait se révéler être un frein pour traduire à l’écran l’écriture ambigüe, pour ne pas dire opaque, de Murakami. Car l’auteur du Passage de la nuit est inclassable tant son œuvre se situe au carrefour du réalisme magique cher à Garcia Marquez et du modernisme kafkaïen.
© Gebeka Films, 2023
Chacun cherche son chat (ou son ver géant)
Jugez plutôt : au lendemain du terrible tremblement de terre qui dévaste l’archipel du Soleil Levant en 2011, Saules aveugles, Femme endormie suit les tribulations et les errances d’une poignée de protagonistes dont deux employés d’une grande banque tokyoïte. Le premier est quitté par sa femme du jour au lendemain tandis que le second, un célibataire gauche et timide, raillé par ses collègues, se voit investi par une grenouille géante d’une mission de la plus haute importance : sauver Tokyo de la destruction totale promise par le réveil particulièrement courroucé d’un ver géant souterrain. Cette étrangeté faisant peu à peu irruption dans le récit d’un quotidienpénible n’effraie aucunement Pierre Földes. Il en joue même avec intelligence dans la mesureoù il lie l’ensemble des nouvelles originelles à la manière d’un récit gigogne. Le résultat à l’écran est d’autant plus saisissant qu’il combine les visions hallucinées de cauchemars surréalistes vécus par les personnages à travers une animation à la fois rotoscopique et infographique d’un réalisme à même d’amplifier la crise existentielle que traverse chacun d’entre eux.
© Gebeka Films, 2023
Puzzle narratif et sensitif
En optant pour cette structure façon poupées russes, Pierre Foldës s’offre la possibilité de façonner Saules aveugles, Femme endormie à la manière d’une créature mutante avec son récit souvent bouleversé par les changements de tonalité. L’humour atrabilaire peut dériver très vite vers l’horreur psychologique, aidé en cela par une direction artistique unique et son atmosphère capable de basculer du réalisme au rêve éveillé fantomatique en quelques nuances. Si l’on peut ergoter sur la raideur de certaines animations çà et là, Saules aveugles, Femme endormie n’en demeure pas moins un bel exemple de passage ambitieux du verbe vers le mouvement le plus noble.
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