Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section Inclassable, découvrez la planche #8 de Masse !
Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier
Installés dans une ville faite de collages de photocopies retravaillées des gravures vénitiennes de Canaletto, Diderert et d’Alembot discutent. L’un porte le chapeau-melon, l’autre la casquette d’ouvrier. Ce n’est pas, comme on pourrait s’y attendre, à un dialogue politique ou social qu’ils nous convient, mais à une séance de « macro-rhino-épistémologie », qui consiste à parler de la science en mettant en scène des personnages à gros nez. Autrement dit, ces encyclopédistes d’un genre nouveau tentent d’expliquer, par des voies métaphoriques toujours décoiffantes, les théories scientifiques les plus audacieuses : ici, la néoténie.
Auteur extrêmement prolifique dans les années 1970 et 1980, fasciné par la science, Francis Masse n’abdique pas de ses exigences d’auteur pour expliquer les derniers résultats des recherches les plus novatrices. À l’opposé de la « ligne claire » très en vogue quand paraît cette histoire, il pratique un dessin extrêmement riche en hachures, grattages, collages de toutes sortes. Ses textes sont souvent abondants et écrits avec beaucoup de recherche, et le dispositif très théâtral qui est le sien dans ces pages peut faire penser à certains maîtres de l’absurde comme Beckett, Ionesco ou Dubillard.
D’abord peintre et sculpteur, Francis Masse (né en 1948), réalise dans les années 1970 des dessins animés qui portent en germe tout son univers. D’abord publiées dans les journaux amateurs, ses bandes dessinées paraissent bientôt dans de nombreuses revues de bande dessinée des années 70 et 80. Ces courtes histoires inouïes de drôlerie mettent en scène des individus broyés par des conventions sociales absurdes. Les Deux du Balcon (1984) et La Mare aux pirates (1985) témoignent de son goût pour la science. Il déserte la bande dessinée peu après et se consacre à la sculpture jusqu’au début des années 2010 où paraissent quelques titres nouveaux (L’Art attentat, Vue d’artiste) et des rééditions. Il a depuis de nouveau disparu des radars.
Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud
Ce qui est étonnant avec un artiste comme Francis Masse, c'est cette capacité à lier l'absurde et une réflexion pseudo-scientifique, accompagnée par un graphisme précis qui rappelle les gravures du XVIIIe siècle. Un esprit qui fait penser à du Marc-Antoine Mathieu avant l'heure. Une érudition jouissive fait de non sens, de savoureuses mises en abîme qui font réfléchir sur le rapport du lecteur aux personnages, sur leur conscience en tant qu'êtres fictionnels...
Ainsi, à travers cette scénette assez simple, en soi, se dévoile un regard plein d'humour sur les limites du sérieux et de ce qu'il révèle sur notre société. On sourit devant l'échange entre les deux hommes, devant cette critique outrancière de la futilité des lectures « d'illustrés ».
Une très belle planche, très représentative du talent de Masse, de sa précision. Un talent qui manque dans le paysage de la bande dessinée actuelle.
PlancheCIBDI
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