Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section Clair-obscur, découvrez la planche #9 de Little Orphan Annie !
Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section Clair-obscur, découvrez la planche #9 de Little Orphan Annie !
Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier
Née en 1925 d’une idée d’Harold Gray, alors assistant de Sydney Smith sur The Gumps, Little Orphan Annie est, en bande dessinée, la première d’une longue tradition d’orphelines soumises aux vicissitudes d’une vie d’errance et d’aventures. Éternellement flanquée de son chien Sandy, Annie vit d’abord dans un orphelinat, mais après quelques semaines, la rencontre avec Oliver « Daddy » Warbucks, millionnaire qui se prend d’affection pour elle, change radicalement le ton de la bande, l’orientant vers l’aventure policière et le mélodrame. Car Daddy Warbucks disparaît bientôt de la bande, laissant la jeune Annie livrée à elle-même face à l’adversité. Elle se débrouille de son mieux au milieu des malfrats et politiciens véreux (qu’elle contribue à mettre hors d’état de nuire), avant que Daddy ne réapparaisse, pour ensuite de nouveau disparaître : tant qu’elle est dessinée par Harold Gray, la série vivra au rythme des disparitions, puis des réapparitions du riche mentor de la gamine.
Plusieurs critiques ont noté le caractère fruste et parfois étrange (tous les personnages ont les yeux dépourvus de pupilles et donc le regard vide) et souvent raide du dessin de Gray, ainsi que la lourdeur idéologique du « message » très explicitement conservateur de la bande. On peut au contraire louer l’efficacité du style graphique de Gray, maître d’un noir et blanc lisible et évocateur – le strip possédé par le Musée en témoigne avec éclat – et son talent de narrateur : quiconque plonge dans les recueils de cette saga foisonnante est immédiatement happé par des péripéties captivantes mises en scène avec un sens impeccable du rythme.
Le succès de la bande est grand durant l’entre-deux-guerres, donnant lieu des adaptations sous forme de feuilletons radiophoniques et d’un premier film long métrage. Autre signe du succès : on voit fleurir d’autres enfants orphelins dans la presse américaine, la plus populaire étant Little Annie Rooney, dessiné par Brandon Walsh.
L’idéologie marquée de la série et son dessin contrasté attirent aussi les parodistes : on peut citer après-guerre Walt Kelly dans sa série Pogo (il invente Li'l Arf & Nonnie), l’équipe de Mad et, dans les années 1970, une page hilarante du dessinateur underground Gilbert Shelton. Mais la satire la plus aboutie reste sans conteste Little Annie Fanny de Kurtzman et Elder, qui fait, des années 1960 à 1980, le bonheur des lecteurs de Playboy.
Harold Gray dessine la bande jusqu’à sa mort en 1968. Elle est alors poursuivie avec moins de bonheur, et l’agence de presse qui possède le titre remet en circulation des épisodes anciens, avant qu’en 1977 Broadway ne s’empare du personnage pour un spectacle qui connaît un énorme succès. On relance alors la série dessinée en faisant appel à Leonard Starr qui s’éloigne du modèle de Gray et modernise les aventures d’Annie. Le succès du spectacle incite également des producteurs hollywoodiens à en faire une adaptation cinématographique confiée en 1982 à John Huston.
Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud
Dans les années 20, le « strip » américain est déjà en pleine ascension. Les journaux proposent de nombreuses séries, les grands patrons de presse soutiennent des artistes ambitieux, tout en alimentant leurs pages de longues aventures pleines d’humour. Quand le capitaine Patterson lance, en 1919 le Daily News, il a rapidement le projet d’y développer de nouveaux strips par le biais de son agence Chicago Tribune - New York News. C’est alors que l’on découvre au fur et à mesure des séries comme The Gumps, Gasoline Alley, Moon Mullins et donc Little Orphan Annie, à partir du 5 août 1924.
Si en effet, la série d’Harold Gray surfe sur les grandes dynamiques de l’époque, elle se distingue néanmoins par son contenu plus politisé que ce qu’il se fait habituellement. Car, bien que le strip nous plonge au cœur d’intrigues mouvementées qui parlent d’enlèvements, de meurtres et autres histoires de gangs, elle est surtout le moyen pour Gray d’exprimer une certaine philosophie de la vie, à travers sa jeune héroïne, Annie, mais aussi par son mentor, le richissime Daddy Warbucks qui, même s’il porte bien son nom, n’en reste pas moins attentionné avec ceux qui sont moins bien lotis que lui. Tous deux modèles d’une vie qui repose sur l’effort et la générosité.
Graphiquement, le strip reste très ancré dans son époque. Un noir et blanc efficace, un sens de la narration qui va droit au but et même si cela reste assez classique dans la forme, on tombe immédiatement sous le charme de cette enfant au regard vide, mais incroyablement attachante.
Et c’est certainement ce qui va expliquer le succès de la série au fil des décennies.
Aujourd’hui peut-être plus perçue comme l’archétype de l’orpheline aventurière, un brin casse-cou, Annie reste une héroïne à redécouvrir.
PlancheCIBDI
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