Cette journée commence à quelques kilomètres de Charleville-Mézières, au vaste et passionnant musée Guerre et Paix, situé à Novion-Porcien, en pleine campagne.
Visite commentée par le guide, mais également par les auteurs BD Aurélien Morinière, Olier et Marko, Jean-David Morvan puis Philippe Jarbinet. En effet, sont à l'honneur dans un parcours BD les séries Visages Ceux que nous sommes, Les Godillots, Madeleine Résistante et Airborne 44.
Dans ce riche musée, la guerre de 70, puis celles de 14-18 et de 39-45 y sont contextualisées et racontées via plus de 15 000 objets et documents sur 4 000 m2. De nombreux uniformes (très colorés au début !), des armes en tout genre (du fusil au canon anti-aérien), des véhicules et même des objets de la vie quotidienne des soldats et des Français pendant ces guerres. On peut y rester des heures sans voir le temps passer.
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Visages Ceux que nous sommes
Les deux guerres mondiales sont traitées dans Visages Ceux que nous sommes. Son dessinateur Aurélien Morinière nous explique que la série parle d’une famille déconstruite suite à la naissance d’un « enfant de la honte », né d’un soldat français et d’une infirmière allemande pendant la guerre de 14-18. Cette famille essaie de se reconstruire en parallèle de la construction de l'Europe qui s'est faite dans la douleur, dans le prolongement de la Seconde Guerre mondiale.
Cette série en quatre tomes ayant une scénariste franco-allemande et un scénariste franco-irlandais, Aurélien Morinière a servi d'exutoire pour fournir des réponses à leurs propres enfants. « C’est une fiction, avec l’aspect romanesque du parcours de chaque personnage dans ce contexte particulier. Mais le lourd contexte historique était intimidant ! » avoue le dessinateur : il avait à sa disposition une somme de documents sur lesquels s'appuyer, mais dont il lui fallait aussi se libérer, pour « retranscrire les émotions et les affects de cette période historique intense et lourde ». Des panneaux didactiques bien conçus expliquent clairement les intentions et enjeux éclairés par Visages Ceux que nous sommes.
Les Godillots
Olier et Marko ont voulu parler dans Les Godillots du quotidien des « Poilus » en 14-18. Leurs héros s’occupent de l’intendanc, ils ravitaillent le front en nourriture et en café bouilli. S’y ajoute un jeune garçon, Vincente, venant du Pays basque, « apportant un peu de vie de drôlerie », précise Olier. Un soldat de la BD a un gri-gri. Quand il le perd il panique. Changement couleur.
Aquarelle de Marko © François Samson
Olier présentant la planche de Marko, ici à gauche © François Samson
Pour cette BD, les auteurs se sont fait aider par l’historien Jean-Yves Le Naour. Marko complète avec quelques anecdotes. Par exemple, il a passé des heures à écouter un spécialiste de la numérotation des camions de la Première Guerre mondiale : « Il était content d'avoir enfin trouvé quelqu'un qui l'écoutait ! » Ce souci de documentation peut aussi laisser la place à des incartades : « On voit sur une planche un avion qui a perdu son train d'atterrissage atterrit sur un taxi : ça, ce n’est pas possible !).
Marko a changé de technique en cours de route, planche 13 du tome 3, passant de la couleur directe au noir et blanc suivi d’une mise en couleur numérique. « Je n’ai plus retouché l'aquarelle pendant un an et demi ! C’est la technique qui m'imposait de faire les choses. Quand c'est la technique qui te guide, ce n’est pas bon ! » De nombreuses planches en couleur puis en noir et blanc illustrent le propos.
Quand Marko a changé de technique © François Samson
Madeleine Riffaud
Changement de guerre avec le scénariste Jean-David Morvan qui raconte sa rencontre avec la célèbre résistante Madeleine Riffaud. « De la BD ? n'importe quoi ! On me met vraiment à toutes les sauces » répond-elle au scénariste qui lui téléphone pour la première fois. Une semaine plus tard, l’accueil sera meilleur : « J’en ai parlé à un ami m'a dit que je deviens complètement conne en vieillissant et que la BD, c'est bien ! ». D’autant plus que la quasi-centenaire ne peut plus aller témoigner de son engagement dans les écoles, ce qu'elle avait fait pendant 20 ans. Morvan glisse : « Elle a un caractère en acier trempé, mais aussi une mémoire complètement dingue : elle a des souvenirs précis de choses du quotidien, quand elle avait huit ans. » Comment était habillée telle personne, etc. Elle est devenue aveugle des suites d’un attentat de l’OAS où elle avait déjà perdu un œil. Mais elle a une mémoire formidable.
Morvan parle de Madeleine Riffaud. Les Allemands ne sont pas loin ! © François Samson
Morvan et le dessinateur Dominique Bertail voulaient raconter toute la vie de Madeleine Riffaud, mais ils n’ont pas voulu faire peur à l’éditeur. « Personne n’aurait voulu annoncer à Madeleine la mauvaise nouvelle que l’éditeur refuse, déjà que quand c’est une bonne nouvelle, on se fait engueuler ! », s'amuse Morvan. Ils ont donc signé pour trois tomes avec Dupuis. De très belles planches en noir, bleu et blanc de Bertail sont exposées. On est surpris par les petites dimensions du travail du dessinateur.
Planche originale de Bertail : le fameux "coup de pied au cul" qui fit entrer Madeleine dans la Résistance © François Samson
Airborne 44
Toujours pendant la guerre de 39-45, en avançant dans le parcours du musée, on arrive au débarquement. Là intervient Philippe Jarbinet, créateur de Airborne 44, dont le 11e tome est en cours d’élaboration. Cet auteur qui se dit discret explique posément son travail qu’il qualifie d’artisanal. « Il faut avoir 100% de documentation pour en utiliser 5 % ! Je travaille avec un spécialiste des plaques d'identification américaines pour le prochain album. Chaque État américain avait un numéro différent. » Il y avait aussi un numéro différent entre les soldats volontaires et les enrôlés de force.
Philippe Jarbinet commente une planche originale de Airborne 44 © François Samson
Jarbinet ne se laisse pas enfermer par sa documentation, même si certains lecteurs spécialistes de tel ou tel aspect de la Seconde Guerre mondiale pinaillent ! « Mais pourquoi as-tu mis un sac de 1928 sur ce char, m’a demandé un lecteur spécialiste ! ». Même si dans les faits, ce modèle de sac était toujours utilisé. Autre anecdote : le propriétaire d’un château que l’on voit dans une de ses planches (réalisées en couleur directe) a contacté l’auteur et lui a fait visiter sa propriété. Il l’a même invité à manger chez lui.
Planche de Jarbinet du château de Bastogne © François Samson
Retour dans l'enceinte du Cabaret Vert
Le soleil aussi est de retour. Ce qui permet de mieux profiter du site que la veille, au-delà du salon de BD, de ses dédicaces, expos, ateliers et rencontres. Le glacier installé juste à côté a des parfums à la reine des prés ou au foin (entre autres) délicieux, sans oublier la glace au Maroilles !
À 17h, est organisé devant l'espace BD une séance de modèle vivant avec comme modèles des volontaires. Dessinateurs professionnels et amateurs se mêlent dans une ambiance à la fois conviviale et studieuse pour croquer ces poses souvent en duo ou en trio.
Parmi les 2500 bénévoles du Cabaret Vert, 45 personnes sont dédiées au salon de la BD. Merci à elles et à celles gérant l'espace repos en face, permettant aux artistes de se détendre dans un cadre agréable.
Conclusion de ce festival en musique, avec les concerts de Shaka Ponk (spectaculaire, un vrai show) et de Korn (énergique).
Rendez-vous en 2025 !
CabaretVert24
Exposition
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