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Œuf dur (quoique gratifiant)

Pour ses 40 ans, L’Œuf de l’ange de Mamoru Oshii sort pour la première fois en salle, gratifié d’une restauration exemplaire. À la fois folle et personnelle, cette œuvre subjugue par sa radicalité surréaliste et poétique.

Difficile d’exprimer pleinement, avec des mots, le choc que constitue la rencontre avec L’Œuf de l’ange. Dans un « ailleurs » proche d’un monde à l’agonie, un vaisseau globuleux descend vers la ligne d’horizon d’un univers aride et dépeuplé. Sa surface est constituée de statues de pierre. En son sein, une jeune fille d’une dizaine d’années couve sous sa robe un œuf de grande taille à la manière d’une femme enceinte. Une fois sortie de son vaisseau, elle approche ensuite d’une ville désertique à l’architecture étonnamment latine. La jeune fille rencontre alors un jeune homme aussi mystérieux que martial, lui conseillant de garder son bien le plus précieux près d’elle à tout instant. De bien obscures prémisses que d’aucuns qualifieraient d’abscons si, d’aventure, ils peinaient à les appréhender avec la bonne logique.

Extrait de

Extrait de "L'Œuf de l'ange" de Mamoru Oshii
© 2025

Plein comme un œuf de symboles

Que fait la jeune fille dans ce soleil de métal ? Quelle est l’identité de ce jeune homme ? Quelle est l’histoire de cette ville ? Comment s’ancre-t-elle dans ce monde mystérieux où des pêcheurs aux harpons sans personnalité traquent des ombres immatérielles de monstres marins nageant dans les rues sans vie de cette ville ? Autant de questions auxquelles Mamoru Oshii refuse délibérément de répondre, préférant miser sur l’intelligence émotionnelle et les connaissances du spectateur. « Chiche en actions, riche en symboles » serait peut-être la meilleure manière de résumer ce film exigeant. Toutes les obsessions qui irradieront les œuvres ultérieures de l’auteur de sont ainsi contenues dans ses soixante et onze minutes. Qu’il s’agisse des références bibliques, de la frontière parfois ténue entre la réalité et le rêve, de son fort penchant pour la citation ou encore de son appétence à mettre en scène des ruines, L’Œuf de l’ange est bel et bien le film de l’affirmation, tant thématique qu’esthétique de Mamoru Oshii, réalisé pourtant en 1985.


Irradié par la Genèse et le mythe de l’Arche de Noé en particulier, L’Œuf de l’ange impressionne par la composition de ses cadres démesurés au sein desquels est distillé un rythme lent enclin à la contemplation. Une statistique sur ce film en dit long : L’Œuf de l’ange est constitué de 400 plans, soit trois fois moins qu’un OAV japonais d’une durée équivalente. De fait, il encourage les spectateurs à promener leur regard dans les moindres recoins d’un écran pour y déceler toute la manne symbolique à même de faire sens. En cela, Mamoru Oshii revendique, à travers L’Œuf de l’ange, sa cinéphilie résolument tournée vers l’Europe. Son esthétique du vide et son fond hautement philosophique font directement écho à La Planète sauvage de René Laloux mais sa vision est également un héritage patent du surréalisme selon Fellini, du symbolisme aussi bien godardien que bergmanien, et de l’onirisme aride propre à Stalker et Solaris de Tarkovski.

Extrait de

Extrait de "L'Œuf et l'ange" de Mamoru Oshii
© 2025

La destruction créatrice

De ce maelström thématique et intertextuel se dégage une réflexion méditative à la fois opaque et protéiforme. L’Œuf de l’ange peut dès lors s’envisager comme un test de Rorschach sur grand écran traversé par des courants tantôt freudiens, tantôt nihilistes, tantôt métaphysiques. Le désespoir, la déshumanisation, la fin de l’innocence avant l’émergence d’un autre possible comme corollaire du chaos... À l’image de son final, oscillant entre le déchirant et le cryptique, cette œuvre d’avant-garde offre un miroir sur lequel chacun peut y projeter ses peurs, ses espoirs et ses désirs… pour mieux se dérober. En somme, un monument de radicalité qui n’a pas fini de livrer tous ses secrets depuis quarante ans.

Article publié dans ZOO Manga N°22 Novembre-Décembre 2025

Animé

cinéma

Poétique

Auteur

Manga

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