Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section Comics, découvrez la planche #19 : Off Switch de Mark Beye
Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier
Mark Beyer est sans doute l’une des voix les plus singulières de la bande dessinée aéricaine. Art Spiegelman dit de lui qu’il est «le plus sophistiqués des primitifs, ou le plus primitif des sophistiqués». Dan Clowes affirme qu’il offre «très certainement la vision la plus accomplie de la désespérance urbaine qui ait été montrée en bande dessinée.»
Il fait penser à Rory Hayes pour la rencontre entre l’enfance (pour le dessin faussement malhabile et véritablement habité) et des états psychologiques pour le moins perturbés. Mais là où Rory Hayes met en scène des personnages violents et volontiers psychotiques, Mark Beyer explore les abyssesd’états profondément dépressifs.
On sait peu de choses sur Mark Beyer. Né en 1950 à Allentown (Pennsylvanie), il est remarqué par Art Spiegelman, qui le met dans les années 1980 au sommaire de tous les numéros de la revue Raw. Il a également été publié dans The Village Voice, The New York Times. Il a réalisé une série de dessins animés pour le programme Liquid Television de MTV et a été l’objet de nombreuses expositions aux USA, en Hollande, au Japon, en France. Il a illustré les pochettes de disques des Residents, de John Zorn, Ptôse, Coldcut, etc. En trente ans de carrière, il n’a publié que cinq livres et sa première traduction en français date de 2014.
Les protagonistes habituels des aventures de Mark Beyer sont Amy et Jordan, un couple qui vit des aventures hantées par la disparition et la mort. Ce ne sont pas eux que nous découvrons dans the Off Switch, histoire en trois pages dont nous présentons la première. Une autostoppeuse évanouie sur le bord de la chaussée est récupérée par deux tueurs qui se rendent dans une ville voisine pour exécuter un homme. L’autostoppeuse raconte un rêve. L’un des deux tueurs menace de la faire périr. Elle s’enfuit. Les deux tueurs reprennent leur route vers une autre ville et, sans doute, une autre exécution.
Ce qui est remarquable dans cette page est le titre disposé en diagonale, qui traverse littéralement le récit sans véritablement l’interrompre. Par-delà le caractère naïf du dessin, on est frappé par le découpage extrêmement classique de cette page, qu’on croirait sortie, pour ce qu’elle raconte, d’un film noir américain des années 1940.
Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud
On peut être au premier abord assez décontenancé par cette planche.
D'une part, par la profusion de cases, Beyer y déploie une succession de scènes qui auraient très bien pu s'étendre sur une ou deux pages en plus. Par le titre, ensuite, qui apparait en quelque sorte comme une griffure noir, très présente, en diagonale, traversant l'histoire. Et finalement, par le graphisme aux apparences naïves, qui synthétise, néanmoins, parfaitement les ressorts de l'histoire, les enjeux et la dynamique propre à la mise en scène.
On ne se concentre alors que sur le récit, en faisant abstraction de la représentation. Beyer ne garde que l'essentiel, n'entre pas dans les détails. Il débarrasse son dessin de tout effet superflu, ne s'empêtre pas dans des perspectives inutiles, dans un réalisme qui ne servirait finalement pas le propos, on est dans une réalité subjective qui pourrait presque correspondre à la vision que pourrait en avoir un enfant.
En ce sens, il entre parfaitement dans la démarche plus libre de l'underground américain qui faisait fi de tout esthétisme académique pour présenter une production alternative plus personnelle, plus intime, qui établissait ses propres codes au fil des parutions.
Avec cette planche, il est moins question d'un récit construit au millimètre que d'une énergie brute, presque primitive, qui se construit sur de la fausse maladresse du trait, les approximations et les déséquilibres du scénario.
Une proposition qui interpelle.
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