L’école fut emportée, son auteur aussi. Le mangaka d’horreur Kazuo Umezz nous a quitté fin octobre dernier.
On lui espère une destination bien meilleure que celle qu’atteignent les personnages de son œuvre culte. Bien que créateur aux multiples casquettes, allant de la musique au cinéma en passant par la peinture, c’est ce récit, l’École emportée, qui marqua le public français à partir de 2004 grâce aux éditions Glénat. Baptism apparaît ensuite rapidement, en 2006, mais c’est en 2015 que s’opère la résurgence soutenue de son travail avec la Maison aux insectes chez le Lézard noir qui relance ainsi officiellement la machine en lui dédiant une collection complète. L’auteur se révèle aussi prolifique qu’indispensable, produisant entre ses débuts au milieu des années 50 et sa retraite dans les années 90 une immense salve de récits d’horreur et d’angoisse, qui façonnèrent presque à eux seul le panorama horrifique japonais.
La collection Kazuo Umezu édité au sein de la maison d'édition du Lézard Noir
Épouvante s’époumonant
Débutant dans le monde du kashi-hon, le livre de prêt, Umezz se rapproche ensuite du Gekiga, un mouvement qui se veut outil de maturation du medium puis s’oriente vers le shojo, domaine qui lui permet de déployer tout son talent de narrateur. Publiées finalement à parts égales dans des magazines shojo que shonen, les histoires d’Umezz brouillent les pistes en mélangeant les codes visuels de l’époque et en les submergeant d’effroyables scènes macabres dans ce qui formera un style personnel aussi élégant que morbide qui marquera des générations.
L’auteur est d’ailleurs cité par de nombreuses personnalités comme source directe d’inspiration. Junji Ito, notamment, ne cache pas son immense admiration pour l’auteur, le mentionnant aussi souvent que possible.
" Publiées finalement à parts égales dans des magazines shojo que shonen, les histoires d’Umezz brouillent les pistes en mélangeant les codes visuels de l’époque " © Lézard Noir, 2015 - La Maison aux insectes
On doit ainsi à Umezz un boom du manga d’horreur qui entérinera l’horreur à la japonaise mais aussi la consolidation de nouvelles vagues de créateurs qui prendront directement sa suite. Son héritage est donc totalement immense.
Au nom du pire
La Main gauche de Dieu, la main droite du Diable. La formule s’applique par conséquent à la fois à l’une des meilleures œuvres de l’auteur tout autant qu’à son exceptionnelle carrière en son entier. Artiste exubérant aux milles facettes, dont on prend encore à peine la mesure, Umezz a développé au fil du temps une œuvre marquante et unique qui convoque une horreur admirable. Très inspiré d’un folklore auprès duquel il rentre en contact très jeune, l’auteur avoue aussi se servir des nombreuses peurs de l’enfance pour ciseler son surnaturel puis s’attaque à la science fiction avec brio, au point d’en être récompensé en 2018 par le fauve patrimoine du festival d’Angoulême.
" Très inspiré d’un folklore auprès duquel il rentre en contact très jeune, l’auteur avoue aussi se servir des nombreuses peurs de l’enfance pour ciseler son surnaturel " © Glénat, 2021 - L’Ecole emportée T.1 (Édition originale)
Umezz ne cherche pas tant l’attachement des lecteurs envers ses personnages que la transcription d’une faculté de percevoir le monde des adultes à travers la vision des enfants. C’est dès lors le prisme prépondérant endossées par ses histoires : une réalité adulte terrifiante qui détruit le rêve enfantin.
Horreur en barre
Toujours en quête de la quintessence de la peur et de la révélation de son sens profond, Umezz utilise l’enfance pour explorer et exploser les limites du monde moderne, de sa désagrégation purement morale à sa dimension la plus physique. Mettant l’histoire au premier plan, il passe progressivement, selon ses mots à l’éditeur Kentaro Takekuma, d’une terreur « directe », purement surnaturelle, à une terreur psychologique, faisant de ses incarnations horrifiques des cibles plus complexes dont l’existence devient bien plus bouleversante. L’horreur d’Umezz en devient aussi éternelle qu’universelle et nous n’avons fait qu’en gratter la surface.
" Umezz utilise l’enfance pour explorer et exploser les limites du monde moderne " © Glénat, 2021 - L'Ecole emportée T.1 (Édition originale)
Article publié dans le Mag ZOO Manga N°17 Janvier-Février 2025
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