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La planche de la semaine : Keyed up ! de Joe Orlando et d’Al Feldstein

Un vendredi sur deux, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Découvrez cette semaine la planche #43 : Keyed up ! de Joe Orlando et d’Al Feldstein

Joe Orlando | Al Feldstein | Harvey Kurtzman | Jack Davis | Wood, Wallace : La planche de la semaine : Keyed up ! de Joe Orlando et d’Al Feldstein

Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier

Dans cette histoire dont le scénario a été écrit par Al Feldstein (dessinateur, scénariste, resté dans l’histoire de la bande dessinée américaine comme le rédacteur en chef de Mad Magazine après le départ d’Harvey Kurtzman), on découvre que parcourir le cosmos peut vous transformer en assassin. C’est ce qui arrive à Guernsey, l’un des deux pilotes d’une fusée immobilisée en plein cosmos par des avaries. Nous voyons comment il se débarrasse de son compagnon de voyage en l’abandonnant dans l’espace. Joe Orlando, dont le style rappelle irrésistiblement celui de Jack Davis, rend efficacement une situation oppressante en accentuant par un noir et blanc contrasté les informations données à la deuxième personne du singulier dans l’abondant texte courant qui surplombe chaque vignette. Ça finira mal pour Guernsey.

Cette grinçante histoire a paru en 1953 dans Weird Science l’un des deux titres de science-fiction que l’éditeur EC publiait, à côté des titres d’horreur qui faisaient l’essentiel des ventes et de sa réputation à l’époque. Comme souvent, le scénariste Al Feldstein s’est fortement inspiré de la trame d’un roman existant (en l’occurrence U-Turn de Duncan Munro) pour bâtir son scénario. On sait que ces « emprunts » étaient courants et que le grand écrivain Ray Bradbury, s’étant aperçu qu’on le pillait sans vergogne, pris contact avec EC et, sous la contrainte, trouva avec eux un accord équitable pour lui.

Quant au dessinateur Joe Orlando, il est considéré comme l’un des grands noms des années 1950 aux Etats-Unis. Sa carrière s’est étendue sur quatre décennies. Il naît en Italie en 1927 mais émigre aux USA avec sa famille deux ans plus tard. Passionné par le dessin, il suit des cours dans une école spécialisée en dessin et design. Il fait ses premiers pas dans le monde de la bande dessinée au début des années 1950. Il est l’assistant de Wallace Wood, puis devient l’un des dessinateurs-vedettes de l’éditeur EC Comics, pour lequel il illustre de nombreuses histoires. Il collabore ensuite avec Classics Illustrated, le magazine Creepy (pour lequel il fournit également des scénarios) et, à partir de 1968, intègre DC Comics, dont il finit vice-président. Comme Will Eisner, il a enseigné dans les années 1980 à la School of Visual Arts.

A l’instar de son ancien mentor Wallace Wood, de Johnny Craig ou de Reed Crandall, il est considéré comme l’un des plus grands dessinateurs de comic books de l’après-guerre. Les fans des Watchmen se souviennent qu’une bande d’Orlando intervient dans la trame du récit et qu’il est présenté au lecteur par un texte très élogieux de Moore. A la demande de Moore et Gibbons, Joe Orlando avait spécialement dessiné une page de cette histoire fictive.


Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud

Un homme confronté au silence de l’espace, de son compagnon de voyage qui ne lui parle plus depuis longtemps, à sa propre culpabilité face à la mort accidentelle des seize autres membres de l’équipage quatre ans auparavant… Benson est un homme condamné, enfermé dans son engin spatial. Les ambiances de « Keyed up ! » sont angoissantes, entre les styles de Wallace Wood et Jack Davis. Un trait expressif, avec des ombres qui insistent sur les visions qu’imagine l’astronaute, cette paranoïa qui l’envahit. Dès la première case, on comprend que les regards sont importants, que ces masses noires qui se glissent ici et là installent un cadre très tendu.

On reconnait le travail très fin sur les détails appris aux côtés de Wood, Orlando équilibre extrêmement bien tous les éléments de ses cases et dans les pages qui suivent fait monter la pression autour de Benton, le tout servi par l’écriture de Feldstein qui accentue les questionnements du personnage noyé dans sa réalité subjective.

On n’insiste jamais assez sur l’importance de cette école EC Comics, de cette énergie déployée à redéfinir les limites de la bande dessinée adulte, qui va ensuite tomber sous le collimateur des censeurs. Chaque histoire, chaque équipe créative est depuis devenue une référence.

La dernière traduction de « Keyed up ! » date de 2016, dans le troisième volume de Weird Science, chez Akileos, sous le titre « La clé du problème ».

Joe Orlando | Al Feldstein | Harvey Kurtzman | Jack Davis | Wood, Wallace : La planche de la semaine : Keyed up ! de Joe Orlando et d’Al Feldstein

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