Un vendredi sur deux, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Découvrez cette semaine la planche #44 : Maestro de Caran d'Ache.

Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier
Pour le grand public, Caran d’Ache est le nom d’un fabricant suisse de crayons. Mais avant cela, Caran d’Ache fut le pseudonyme d’un des plus grands dessinateurs de presse de la fin du XIXe siècle, et l’un des pionniers français de la bande dessinée.
De son vrai nom Emmanuel Poiré, il naît en Russie en 1858 (son grand-père avait fait la campagne de Russie dans les troupes de Napoléon et décida de s’établir à Moscou) mais vient à Paris pour effectuer son service militaire. Il reste en France et devient dessinateur sous le pseudonyme de Caran d’Ache, d’après le mot russe karandach qui signifie crayon. Il rencontre bientôt le succès dans les journaux où il publie d’innombrables dessins et suites narratives, à partir de 1986. On peut citer La Caricature, Le Journal, La Vie militaire, Le Tout-Paris, Le Figaro et Le Chat noir, où paraissent de nombreuses histoires muettes. Pour le cabaret du Chat noir, il produit en 1986 un spectacle de théâtre d’ombres intitulé « L’Epopée » qui retrace l’épopée militaire napoléonienne et rencontre un très grand succès populaire et critique.
Le dessin qu’il fit sur l’affaire Dreyfus, intitulé « Un dîner en ville », est resté célèbre. On y voit deux moments d’un repas, d’abord cordial (« Surtout, ne parlons pas de l’affaire Dreyfus ») puis dégénérant en bataille rangée (« Ils en ont parlé »).
Sa contribution décisive au développement de la bande dessinée française a été encore réévaluée depuis la découverte des centaines de dessins constituant les originaux d’un projet éditorial révolutionnaire pour l’époque, qui consistait à faire paraître en épisodes dans Le Figaro les chapitres d’un « roman sans texte » (dixit Caran d’Ache, nous dirions « une histoire muette ») intitulé Maestro.
Nous vous proposons aujourd’hui une page de ce récit que Caran d’Ache dessina en 1894, mais qui ne fut jamais publié. Le musée de la Bande dessinée a acquis il y a quinze ans un important ensemble des originaux de cette histoire, qui se présente sous la forme de dessins à l’encre de Chine sur feuilles de calque. Certaines pages comportent un dessin unique, d’autres, comme ici, fonctionnent sur le principe de deux ou trois dessins séquencés.
Maestro raconte l’histoire d’un jeune musicien prodige dont un roi mélomane décide de devenir le protecteur. La modernité de Caran d’Ache éclate dans ces pages au graphisme à la fois simple et expressif. On appréciera l’éloquence des postures et la science narrative très sûre du dessinateur : le décor est à peine suggéré et l’usage du plan fixe permet de mettre en valeur les mimiques expressives des deux protagonistes.
Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud
Avec Caran d’Ache (Emmanuel Poiré), c’est toute une école artistique qui symbolise le passage du dessin de presse à la bande dessinée. L’un expérimentant les codes d’un nouveau langage pour nourrir les premiers pas du second.
Si à l’époque la bande dessinée ne s’appelle peut-être pas encore comme ça, elle émerge néanmoins d’un ensemble de réflexions menées depuis à peine quelques décennies par ces caricaturistes qui glissent des éléments de narration par-ci par-là, posant les premières pierres d’un édifice que de nombreux autres vont s’empresser de compléter dans les années qui suivent. Caran d’Ache se tient encore dans cet entre-deux qui le voit exceller en tant que dessinateur de presse, tout en figurant parmi les grands précurseurs du genre en devenir.
La souplesse de son trait, cette économie des moyens qui fait qu’en deux coups de plume il anime un pli de veste, un regard étonné ou le mouvement fugace d’une mèche de cheveux vont marquer les générations à venir et faire de son nom un des grands marqueurs des premiers pas de la bande dessinée. Et on s’en rend particulièrement compte avec ces trois dessins qui ébauchent une conversation muette entre deux individus qui semblent marchander l’achat d’un piano. Pas de chichis inutiles, juste ce qu’il faut pour qu’on ait les éléments nécessaires pour comprendre la dynamique de la scène.
Un bel exemple d’un instantané de vie représenté simplement, mais très efficacement.
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