Un vendredi sur deux, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Découvrez cette semaine la planche #46 :
La planche de la semaine : Little Annie Fanny par Harvey Kurtzman et Bill Elder
© CIBD 2025
Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier
Harvey Kurtzman, son scénariste, la définissait comme « Candide dans le corps de Marylin Monroe ». Parue dans Playboy de 1962 à 1988, Little Annie Fanny est un des sommets de la parodie en bande dessinée. Se moquant de Little Orphan Annie d’Harold Gray en s’inspirant donc de Voltaire, mais également de Goodman Beaver, une création commune antérieure, le scénariste et son dessinateur Bill Elder travaillent sur un rythme théoriquement mensuel.
Sous le contrôle étroit d’Hugh Hefner, patron de Playboy et lui-même ancien cartoonist, ils publient une des bandes dessinées les plus luxueuses du monde. Chaque épisode fait en effet l’objet d’une élaboration minutieuse : Kurtzman, par ailleurs excellent dessinateur, fournit plusieurs versions d’un découpage extrêmement poussé, et autant de pages d’indications de mise en couleur. Elder travaille à partir de ces indications, s’adjoignant les services d’aides ponctuels qui ont nom Frank Frazetta, Al Jaffee, Arnold Roth, Jack Davis...
Le résultat est une bande dessinée en couleur d’une remarquable richesse visuelle. Répondant à la demande du magazine, chaque épisode, qui traite d’un sujet d’actualité comme la guerre du Vietnam, la Beatlemania, la libération sexuelle..., est l’occasion de dénuder la pulpeuse héroïne. Entourée de personnages animés par des motivations peu élevées et presque toujours attirés par sa plastique de rêve, Little Annie Fanny ne se départit jamais de sa naïveté et d’une désarmante bonne volonté. Les protagonistes des épisodes successifs ressemblent de manière troublante aux célébrités de l’époque : Robert Kennedy, Marcello Mastroianni, Sean Connery...
Kurtzman et Elder poursuivent ainsi, par le moyen de la parodie, la critique de la société américaine de l’époque, qu’ils avaient entamée à partir de 1952 dans Mad. La double-page que nous présentons aujourd’hui est l’une des nombreuses étapes de la réalisation d’un épisode intitulé Sex Movies et paru en 1977. On voit avec quel luxe de détails Harvey Kurtzman fournit des indications, des commentaires et de rapides croquis à son dessinateur, chargé de mettre en place une page qui semble avoir été conçue jusque dans le moindre détail par son scénariste.
Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud
Pour animer sa fameuse série Little Annie Fanny qu’il produisit, avec le dessinateur Bill Elder, pour le magazine Playboy, de 1962 à 1988, Harvey Kurtzman prit l’habitude de fournir, comme on peut le voir avec cette double page, un storyboard particulièrement précis où tout était indiqué, en termes de lumière, de position de bulles, de dynamique dans la page et même les onomatopées. On peut ainsi se rendre compte de la maîtrise du maître, mais aussi de cette habilité à amener le regard du lecteur et à occuper intelligemment l’espace de la case. Il suffit de voir ce plan fixe qui s’étale sur pratiquement l’ensemble, n’acceptant que la variation des bulles et l’interaction des personnages.
Par sa qualité et la richesse des informations qui y sont glissées, cette double page donne l’impression de se suffire en soi. Avec un peu de nettoyage dans le lettrage, dans quelques zones à préciser, elles pourraient même être publiables telles quelles.
D’ailleurs, le dessin de Kurtzman s’est de plus en plus tourné vers un trait vif, proche de l’ébauche, ne s’embêtant plus avec les détails inutiles.
On peut se rendre compte ici qu’en un simple story-board, absolument tout est dit.
Pour aller plus loin
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