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L'undertaker : Colts et pompes funèbres

« Le meilleur western depuis Blueberry » proclame l'autocollant en couverture. Undertaker le dernier album de Xavier Dorison et Ralph Meyer n’a pas volé son slogan d’après Serge, notre chroniqueur qui en fait l’un de nos coups de coeur de la semaine. Retour sur l’écriture d’un western sombre, original et à l’image de son héros : un peu cabotin...

Réinventer le western

Qu’est ce qui vous a donné envie de vous essayer au western ?

Xavier Dorison : Ralph avait très envie de faire un western où le héros serait un croque-mort. Il m’en a parlé au moment où l’on finissait XIII Mystery et je trouvais l’idée intéressante et ironique. À partir de là, on a réfléchi tous les deux à ce qu’un croque-mort pourrait faire et à ce qui pourrait lui arriver, et l'idée d'Undertaker est venue !

Ralph Meyer : Ce personnage récurrent dans le western n’a jamais le premier rôle, ce qui permettait d’apporter quelque chose de nouveau dans cet univers ultra-codifié. On lui a donc créé a une identité graphique très forte, très esthétique.

Quelles ont été vos contraintes pour cette histoire ?

Ralph Meyer : Le western est un genre très exigeant, tant au niveau du scénario que graphiquement. Quand on décide de se lancer dans un western premier degré, assumé, il faut un certain courage.

Xavier Dorison : Dans Asgard, on avait un monstre qui permettait des scènes spectaculaires, en plus du plaisir de la découverte d’un univers. Là, en revanche, le public nous attend au tournant : comment Ralph va dessiner un cheval, un flingue, des montagnes ou même un saloon ! Des choses qu’ils ont déjà vues 2000 fois. C‘est effectivement plus de contraintes, mais en même temps, c’est amusant de s’imposer ce défi !

Quels codes du western vouliez-vous dépasser ?

Xavier Dorison : J’ai vu certains codes comme des passages obligés. Le duel par exemple : quand un type arrive dans une ville et déroge aux règles locales, on va forcément vouloir lui tirer dessus. Pas parce que c’est un western, mais parce que c’est logique. Avec un shérif pourri et un Undertaker cabotin et indépendant, c’est inévitable ! Ce que l’on cherche à éviter ce sont les clichés. C’est pour ça que je ne fais pas se dérouler ce duel en plein jour, dans une rue principale déserte.

Ralph Meyer : Effectivement, si l’Undertaker arrivait dans le saloon, commandait un whisky et entendait « Tu f’rais mieux de quitter la ville, étranger », le cliché serait énorme. Par contre, que l’Undertaker arrive au saloon accompagné d’un vautour à qui il fait servir un steak nous paraissait assez drôle.

Quelles ont été vos influences principales ?

Ralph Meyer : Blueberry évidemment ! Mais de façon plus large, toute l’école du réalisme franco-belge, de Jijé en passant par Giraud jusqu’à Christian Rossi, François Boucq, etc. Je tends naturellement vers cette filiation, mais j’essaie de m’en détacher au fil des albums, comme Giraud a pu faire avec le style de Jijé à ses débuts. Il faut vraiment digérer les codes du western avant de développer un style original dans le genre !

On sent que vous avez développé un véritable sous-texte dans cette ville…

Xavier Dorison : À partir du moment où un seul homme s’enrichit pendant que les autres crèvent littéralement la dalle, les tensions sont inévitables. Nous avions besoin de montrer les conditions de vie de la population. Ce n’est pas un hasard si l’Undertaker arrive en ville alors qu’un filon vient de s’effondrer !

Ralph Meyer : C’est l’éternel équilibre entre ce qui est légal et ce qui est juste. En plus, il y a des arguments recevables des deux côtés, ce qui permet de créer des conflits super intéressants !

Xavier Dorison : C’est vrai. Dans le fond qui a raison ? Au début, j’ai tendance à dire les mineurs. Mais il y a l’otage ! Et à partir du moment où la vie de cet otage est en jeu, les arguments des mineurs restent recevables, mais pardon, ma sympathie va à l’otage innocent!

Une fois le premier diptyque achevé, nous aurons fini de traiter cette question « marxiste» de la possession des moyens de production. D’autres thèmes nous intéressent et chaque cycle devrait donc s’ouvrir sur un nouveau sujet, pas forcément marxiste [rires].

Un Charognard au Far West

Comment vous est venu le personnage de l’Undertaker ?

Xavier Dorison : Il a fallu qu’on crée un personnage qui ait d’abord des raisons de devenir Undertaker. Pourquoi devient-on shérif ? Pour faire régner la justice ou s’octroyer du pouvoir. Mais pourquoi devient-on Undertaker ? Parce qu’on n’a pas le choix et que l’on a un rapport très particulier à la vie et aux gens.

Il a fallu qu’on définisse ces motivations, qui apparaîtront à partir du deuxième tome, parce que son métier n’est pas qu’une couverture pour fuir un passé délicat. Il faut aussi lui trouver une attitude, c’est à dire pas seulement ce qu’il fait, mais surtout la façon dont il le fait.

Ralph Meyer : Physiquement l’idée principale était de s’éloigner le plus possible de l’image habituelle du croque-mort en BD, celui de Lucky Luke. Avoir un personnage cabotin, drôle et doté d’un sens de la répartie amenait un ton intéressant à développer pour son côté décalé. Graphiquement, j’ai tendance à aller vers des personnages physiquement « beaux », mais j’ai pu faire les concessions suffisantes à Xavier pour que Jonas Crow ne soit pas juste un beau gosse !

Xavier Dorison : Au final, le personnage est graphiquement beau mais aussi intelligent, ce qui n’est pas facile à rendre. Et comme il est odieux, on accepte plus facilement qu’il soit beau et intelligent à la fois !

L'Undertaker est accompagné de personnages que l’on n’a pas l’habitude de voir dans un western…

Xavier Dorison : Pas tous ! Rose tout d’abord : conservatrice, autoritaire et énergique, on retrouve un personnage assez proche joué par Katharine Hepburn dans Une Bible et un Fusil ! Cependant, si on la voit pour l’instant comme une anglaise coincée, vous allez en découvrir plus à son propos : femme meurtrie, elle est également pétrie de contradictions.

Le binôme entre l’Undertaker et Rose nous est apparu rapidement, parce qu’il est logique : l’un va roter sans gêne à table, l’autre s’en offusquer immédiatement ! Il y a un terme pour ça dans notre beau métier, c’est « polariser son casting » !

Il fallait aussi des personnages pour occuper la partie du « spectre » psychologique qui n’est pas déjà couverte par ce binôme. J’aimais bien l’idée d’avoir un personnage qui leur dise leurs quatre vérités à tous les deux, ce qui est aussi très pratique pour faire passer du sous-texte. Mme Lin, cette ancienne domestique chinoise débarrassée de toute forme de diplomatie est née ainsi !

Quels sont vos projets pour l'avenir ?

Ralph Meyer : Ma priorité c’est Undertaker pour les années qui viennent. On a encore beaucoup de choses à raconter avec ce personnage !

Xavier Dorison : Dans un mois à peine, vous pourrez découvrir la fin de la série Le Syndrome d’Abel. Un roman graphique d’aventure est prévu pour le mois de juin, Le Maître d’Armes, avec Joël Parnotte au dessin. Ce sera la dernière aventure de Hans Talhoffer, le maître d’arme de François Ier, un « badass de première classe » comme le définissent mes enfants !

Au mois d’août, je sors le deuxième tome du Chant du Cygne, une histoire qui se situe pendant la Première Guerre mondiale. Il y aura aussi le deuxième tome de Redskin. Fin 2015, le nouveau tome de Kriss de Valnor devrait sortir et début 2016 le nouveau tome de Thorgal !

Un album co-scénarisé avec Fabien Nury et dessiné par Laurent Astier devrait s’intituler Comment faire fortune en juin 40 ? Comme son nom l’indique, l’intrigue se déroule en juin 40, pendant la débâcle : la Banque de France cherche à mettre ses réserves d’or à l’abri et en met notamment 4 tonnes dans un fourgon blindé à destination de Bordeaux. Sauf que les routes sont bloquées et que l’un des convoyeurs en parle à l’un de ses copains, braqueur à la petite semaine… Ce sera un album plutôt drôle, une véritable aventure avec un peu d’humour !

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