ZOO

Touche de paradis dans l'Enfer de la Première Guerre mondiale

Avec qu’Un seul nous entende, Xavier Dorison, Emmanuel Herzet et Cédric Babouche achèvent leur diptyque tout en aquarelle autour d’une équipée de soldats de la Première Guerre mondiale. Le dessinateur, Cédric Babouche, est revenu avec nous sur sa mise en cases haute en couleur d’une très sombre période…

Clint Eastwood chez les Poilus

Pourquoi avoir choisi de représenter la Première Guerre mondiale à l’aquarelle?

Cédric Babouche : Tout est parti de Xavier Dorison, qui voulait une approche graphique différente, plus colorée et plus « gaie » de cette guerre. Il a découvert mon travail à l’école Emile Cohl à Lyon où l’on enseigne tous les deux et m’a dit qu’il avait quelque chose pour moi !

Petit moment de répit

Petit moment de répit enre soldats

Moi, j’avais envie de faire de la BD mais pas en l’abordant de la même manière que l’animé d’où je viens. Je ne voulais surtout pas faire de jeunesse. Alors quand il m’a annoncé que le scénario traitait de la Première Guerre mondiale, je me suis dit que c’était exactement ce qu’il me fallait : on ne m’attendrait pas sur un tel sujet !


Bien sûr, utiliser l’aquarelle pour ce thème n’était pas évident mais une phrase de Xavier m’y a beaucoup aidé : « Pour échapper à l’Enfer, ils vont traverser le Paradis. » C’était un vrai défi : comment faire une BD sur la Première Guerre mondiale qui soit aussi lumineuse et colorée ? À chaque page, j’insère une petite touche de bien-être. Même dans les batailles on peut toujours apercevoir un détail, comme une lumière chaude et lumineuse qui perce les nuages… Mais ce petit « paradis » est toujours en tension avec la noirceur de la guerre. Par exemple les couleurs chaudes sont toujours refroidies par des complémentaires bleues...

Fin d'une course-poursuite

Comment avez-vous créé votre galerie de personnages ? Comment rendre des «gueules de Poilus» aussi expressives ?

Tout d’abord, j’ai dû camper les deux héros pour qu’ils fonctionnent entre eux ! Pat’ est une grande gueule, une personne massive ! En le dessinant, j’avais Clint Eastwood en tête parce qu’il très impressionnant avec ses yeux qu’on ne voit jamais ! Katz, lui, était avocat à la ville avant d’être à l’armée, c’est donc un physique plus « normal ». Il fallait qu’il ait un aspect plus banal pour l’époque d’où sa morphologie, sa moustache... En somme le personnage le plus dur à trouver car c’est le plus lisse.

Pat et Katz, au point de rendez-vous

Pat et Katz, au point de rendez-vous

Une fois ces deux personnages aux morphologies très typées campés, il fallait réussir à créer d’autres personnages de manière à ce qu’on puisse les distinguer : l’un a les cheveux très bien peignés, l’autre a une cicatrice... mais ne doivent pas occulter les deux personnages principaux...

La distinction est très forte grâce à la couleur : Pat‘, le seul roux, détonne car il est le seul à avoir en permanence une couleur chaude sur lui ! Comme je viens du dessin animé, ça doit aussi se voir...

Dès le début vous donnez de la place à Morvan, le méchant de l’histoire !

Cette entrée en matière était nécessaire ! La fin du premier tome est très dure, on a assisté quand même à l’explosion d’une station essence avec des mecs qui courent dans tous les sens ! Cela aura un impact sur les fuyards mais aussi sur la manière dont Morvan poursuivra sa traque ! C’est devenu une vraie bataille et il ne va pas se laisser faire !

Morvan

Ces premières pages où Morvan se relève montrent vraiment qui il est : quelqu’un qui s’est toujours relevé. Quand on voit son visage, on comprend bien qu’il est passé plusieurs fois à côté de la mort ! Cette ténacité est aussi quelque chose qu’il valorise chez les autres…

La couleur de la guerre

Comment avez-vous composé les images de guerre ?

Pour la séquence de la gare par exemple, j’ai voulu avoir une approche cinématographique. Je voulais qu’on ait l’impression d’une suite de mouvements que l’on peut suivre entre les cases ! Les couleurs m’aident à unifier l’action. Les rouges et les violets de cette séquence, je n’aurais jamais osé les utiliser avant ! Ici ces couleurs sont utiles pour trancher avec le reste de la narration et annoncer que quelque chose va se passer !

L'ouverture de la scène de la gare

L'ouverture de la scène de la gare

Il y a beaucoup de sang dans cet album, mais aussi des scènes particulièrement dures, montrées de loin. Avez-vous voulu atténuer l’horreur grâce au dessin ?

Au cinéma, les scènes les plus fortes sont souvent celles où on ne montre pas tout. Le non-dit est très puissant ! Ne pas voir la souffrance de la victime, mais plutôt l’impassibilité des personnages présents, tout en étant conscient de ce qui se passe hors champ... Je trouve ça plus effrayant que la scène vue frontalement !

Suite de la scène de la gare

Suite de la scène de la gare

Dans une bande dessinée comme celle-ci, il faut amener la violence par le quotidien et le réel. Si on ne peut la retranscrire par le sang, on peut l'apporter par l’ambiance. La scène de la gare en est représentative... On part d’une couleur censée montrer le soleil levant et qui petit à petit, d’une manière presque organique, devient celle du sang. Ces couleurs saturées marquent une rupture, la fin de l’histoire...



L’intrigue et les dialogues dans ces ouvrages sont très denses, comment avez-vous fait pour les rendre fidèlement sans qu’ils n’empiètent sur le dessin ?

À chaque fois que j’avais besoin de plus d’espace, j’en parlais ! Il se trouve que j’ai deux scénaristes adorables qui m’ont laissé plein de pages libres pour me permettre de déborder. Même mon éditeur m’a accordé des pages supplémentaires, payées de surcroît ! L’espace peut aussi donner beaucoup d’intensité à l’intrigue : par exemple quand je veux montrer que les personnages sont seuls, je le fais et j’étends le dessin sur toute une page !

Pat' seul

Pat' seul

Mais dès le départ de ce deuxième album, Xavier Dorison et Emmanuel Herzet m’avaient fait un découpage plus proche de ce que j’aime faire. Je pense que le découpage du premier tome n’était pas fait pour moi, d’où des planches assez chargées. Au contraire, maintenant qu’ils ont l’habitude de mon dessin, on a un album beaucoup plus aéré, presque cinématographique avec 6-7 cases par planche !

Quels sont vos projets pour la suite ?

Alors ce ne sera plus sur la Première Guerre, j’en ai un peu marre de dessiner des Poilus ! J’ai signé pour un nouvel album qui n’a rien à voir, plus moderne, plus japonisant... Dans l’esprit d’Amer Béton ! Les lecteurs risquent d’être surpris !

Face-à-face entre les fuyards et l'armée française

Face-à-face entre les fuyards et l'armée française

Haut de page

Commentez

1200 caractères restants