ZOO

Dessine-moi une ado jamais contente !

Aujourd’hui sort dans nos salles Jamais Contente, adaptation cinématographique du Journal d’Aurore, série de romans écrite par Marie Desplechin. Véritable succès jeunesse, les élucubrations de l’adolescente ont eu droit également à leur série BD, grâce au coup de crayon enchanteur d’Agnès Maupré. Retour sur la rencontre entre la dessinatrice et cette héroïne méchamment drôle !

Quand la plume rencontre le crayon

Jamais contente... toujours fâchée ! est le premier tome du Journal d’Aurore, tiré du roman de Marie Desplechin. Comment est née cette collaboration ?

Agnès Maupré : C’est un pur mariage arrangé par notre éditrice, Charlotte Moundlic ! Quand j’ai commencé dans la bande dessinée, Charlotte était l’une des premières éditrices auprès de qui j’ai démarché. Je n’ai eu aucune nouvelle d’elle, jusqu’à ce qu’elle me recontacte dix ans plus tard pour me parler d’une adaptation du Journal d’Aurore de Marie Desplechin. Le projet remontait à très longtemps, et devait être confié à Soledad Bravi, qui avait dessiné la couverture des romans. Mais apparemment ce qui marchait sur couverture ne marchait pas sur planches...

Extrait du Journal d'Aurore T.1 page 131

J’avoue avoir hésité avant d’accepter la proposition. J’ai toujours eu l’habitude d’adapter des histoires d’auteurs morts. Je redoutais donc un peu de travailler avec une romancière vivante car j’avais peur que Marie soit tout le temps sur mon dos. Et puis, un jour, je suis allée au restaurant avec elle et Charlotte. J’ai vite réalisé que Marie était quelqu’un de très zen et qu’à partir du moment où elle me faisait confiance j’aurais une paix royale !Cette collaboration était un véritable plaisir et a même fait naître mon envie de travailler avec d’autres auteurs. En plus c’était la première fois que je travaillais avec un très bon ami, Grégory Elbaz, qui a assuré avec brio la colorisation de l’album !

Vous vous êtes déjà essayé à l’adaptation littéraire dans Milady de Winter. Qu’est-ce qui vous plait dans cet exercice périlleux ?

Agnès Maupré : C’est un exercice périlleux uniquement si l’ouvrage initial ne nous plait pas. Pour ma part, j’affectionne beaucoup les Trois Mousquetaires et le Journal d'Aurore m’a fait hurler de rire dès les premières pages. Cependant, illustrer chacun de ces livres a été une expérience différente.

Extrait du Journal d'Aurore T.1 page 132

Dans Milady de Winter, je me suis glissée dans la trame des aventures de Dumas pour créer une autre version de l’histoire. Contrairement au Journal d’Aurore, dans lequel je raconte mot par mot le livre de Marie, mais sur planches !

Comment s’est déroulée la composition de l’album ?

Agnès Maupré : Notre première décision portait sur le nombre d’albums que la série devait contenir. Alors que le roman est en trois tomes, je n’étais pas partante pour une trilogie de BD, car dans le premier tome du roman, Aurore fait tout le temps la tronche. Ce n’est qu’à partir du second qu’elle se dégèle petit à petit et qu’elle s’ouvre au monde. On a donc opté pour une adaptation BD en deux parties afin que Jamais contente... toujours fâchée ! , montre cette évolution.

Extrait Journal d'Aurore T.1 page 72

Pour la narration, les choix étaient plutôt simples, étant donné que l’histoire se calquait sur le modèle du journal, divisé en mois. Du coup, on a décidé de reprendre cette structure. Pour chaque chapitre, Marie me disait quels passages et blagues lui tenaient le plus à cœur. Je me servais de ses indications comme base pour faire ma propre lecture de l’histoire.

Quelles sont les scènes que vous avez pris le plus de plaisir à dessiner ?

Agnès Maupré : Sans aucun doute les scènes d’amitié entre Aurore et Lola ! J’ai adoré dessiner ces deux gamines, avachies sur leur lit. D’ailleurs lorsque j’ai proposé des originaux à Marie et Charlotte en cadeau, elles ont toute les deux craqué pour la planche où Aurore comate dans sa chambre, couette sur la tête. J’ai l’impression qu’on s’identifie toutes un peu à ce genre de scènes, qui sont assez représentatives de l’adolescence !

Dessiner l’âge ingrat

Travailler sur cette BD était pour vous une véritable replongée dans l’adolescence…


Journal d'Aurore T.1 page 9

Agnès Maupré : J’ai effectivement beaucoup puisé dans mon adolescence pour façonner mes personnages. Me souvenir de mes copines et de leurs parents m’a vraiment aidée à remplir petit à petit le monde d’Aurore. Parmi tous les protagonistes, je me retrouve énormément dans la sœur cadette d’Aurore, Sophie. Elle me rappelle mes copines et moi, qui incarnions à nous trois les têtes d’ampoule de la classe ! [rires]

J’ai aussi une petite part d’Aurore. Comme elle je n’arrêtais pas de râler à son âge. Je lui ai même légué mes postures et torsions de corps improbables, qui ne m’ont jamais lâchée. D’ailleurs ça énerve toujours ma mère ! [rires]

Dessiner des héros adolescents n’est pas forcément un défi facile à relever…

Agnès Maupré : Lorsque je leur ai montré les premiers croquis, Marie et Charlotte trouvaient les personnages un peu trop vieux. Trouver le bon âge était la partie la plus dure, sachant que, dans le roman, Aurore passe de treize à seize ans. L’adolescence est un âge très élastique et il fallait que je respecte cette géométrie variable.Extrait du Journal d'Aurore T.1 page 41

Mon travail reposait aussi sur les mimiques et expressions des personnages, afin que leurs visages dégagent certaines émotions. Un prof de dessin m’a donné un conseil assez utile à ce sujet : qu’importe le sentiment, il faut toujours le ressentir, de manière à mieux le reproduire sur papier. Ça parait bête, mais cette leçon m’a beaucoup aidée pour le Journal d’Aurore !

Au-delà du physique, il y a aussi les pensées d’Aurore, très présentes dans le livre…

Agnès Maupré : Quand on lit le roman on s’aperçoit qu’il y a deux mondes. L’un assez terre-à-terre, peuplé de couettes à motifs et de salles de classe. L’autre, plus intime et totalement dédié aux monologues intérieurs et commentaires qu’Aurore donne sur sa vie. Seulement, en bande dessinée, on nous apprend souvent à éradiquer la voix off. Je devais donc faire ressortir ces passages-là tout en m’assurant que le texte et l’image ne disent pas la même chose. C’est d’ailleurs tout le charme de la BD : l’un ne marche pas sans l’autre !

Extrait du Journal d'Aurore T.1 page 32

Heureusement, Aurore a tendance à imager énormément ses réflexions. Faire une adaptation BD était une belle occasion de retranscrire ces images mentales, notamment dans les transitions entre les chapitres. J’ai donc pu dessiner à loisir les jungles amazoniennes, lévriers, limaces, rats-taupes et autres allégories présentes dans la tête de l’adolescente. Un bon trip de dessinateur !

Les aventures d’Aurore ont à présent leur film, réalisé par Emilie Deleuze. Quel est votre ressenti face à ce passage à l’écran ?

Agnès Maupré : Je suis allée le voir en avant-première et je l’ai trouvé assez chouette ! C’était assez rigolo de constater l’écart entre l’Aurore du film et celle de la BD. À mes yeux, Aurore est une version de Marie ado : maigre, grand nez, cheveux ébouriffés... Elle tranche beaucoup avec la petite brune aux joues rondes que j’ai vue au cinéma !

Journal d'Aurore T.1 page 43

Marie, elle, était fascinée de voir à quel point un film pouvait être court et condenser les passages d’un livre. Jamais Contente se concentre majoritairement sur les événements du troisième tome, dans lequel Aurore intègre un groupe de rock. Du coup, le scénario prend un virage dynamique, mettant de côté la fumée cérébrale de l’héroïne...

D’autres projets en cours ?

Agnès Maupré : Je suis plongée dans l’écriture du deuxième tome du Journal d’Aurore, qui nous réserve beaucoup de surprises ! Je suis aussi très contente d’avoir fini la scénarisation de mon Tristan et Yseult, avec Singeon au dessin. Et autre nouveauté : je me suis lancée dans l’écriture de paroles de chanson. J’ai même mon propre groupe Esprit Chiens, qui a donné son premier concert en octobre !

Extrait du Journal d'Aurore T.1 page 101
Haut de page

Commentez

1200 caractères restants