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Grimr, héros de saga qui n’en est pas une

Primée du Fauve d’Or de la 45ème édition du Festival d’Angoulême, La Saga de Grimr livre une épopée dotée d’une immense virtuosité narrative et graphique. Son auteur, Jérémie Moreau, nous en dit plus sur la naissance de ce récit et son héros, bouleversant les codes des sagas islandaises.

Un pied-de-nez aux sagas

Avec La Saga de Grimr  vous signez votre troisième album. Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes venu à la bande dessinée ?

J’ai l’impression d’avoir eu un parcours unilatéral. Dès 8 ans, je savais que je voulais faire de la BD. Je suis venu à elle grâce au concours du festival d’Angoulême, auquel j’ai participé jusqu’à mes 16 ans. Le défi consistait à monter une histoire avec un début, un milieu et une fin en deux planches. J’ai gravi les échelons jusqu’à atteindre la sélection nationale, et à me retrouver parmi les 30 lauréats à Angoulême. C’était un moment hyper important pour moi car j’ai pu rencontrer différents auteurs venus des quatre coins de la France !

Après le bac, j’ai beaucoup réfléchi aux études j’allais faire. Il n’y avait pas d’école de BD référente, et j’entendais plus parler de la formation d’animation aux Gobelins. C’était pour moi l’occasion d’ajouter une nouvelle corde à mon arc, qui a beaucoup de choses en commun avec la bande dessinée. Quand on passe des journées à faire mille dessins pour une marche il est évident que le dessin, l’écriture et nos idées se réalisent d’une manière plus fluide.

De ce fourmillement d’idées a surgi La Saga de Grimr  ?

Depuis mes premières participations au concours, j’ai gardé l’habitude de trouver de nouvelles idées, une scène, autour desquelles je bâtis un scénario. C’était le cas avec Max Winson, dans lequel un joueur de tennis couvert de gloire doit gagner sa liberté en perdant un match. Pour La Saga de Grimr, j’avais l’image du dénouement, héroïque et spectaculaire. En me basant sur elle, j’ai échafaudé l’histoire, ses personnages, ses décors...

Décor que vous plantez dans l’Islande du XVIIIe siècle. Pourquoi cette période pour un titre qui fait référence aux sagas islandaises ?

Surtout que ce n’était plus du tout l’époque des sagas. Il me fallait un contexte historique et j’ai pas mal hésité entre situer l’histoire en l’an 900 à l’époque des Vikings ou au XVIIIe. En lisant La Cloche d’Islande d’Halldor Laxness, qui se déroule en 1783, je découvre qu’à cette année le pays est secoué par une éruption volcanique, ce qui collait à la fin que je voulais donner à la BD.

Le roman parle également des épidémies, des famines et de l’oppression danoise qui touche ce peuple encore bercé par les mérites passés de la grande époque des Vikings et de sagas, sans compter l’importance de la généalogie. Cependant je n’ai jamais lu entièrement des sagas islandaises car les textes sont âpres, laconiques sans fioritures. Chaque action est racontée en sujet-verbe-complément et il n’y a aucune réelle place à la psychologie des personnages.

Quelle psychologie vouliez-vous forger pour Grimr, le héros de cette saga ?

Je ne considère pas cette BD comme une réelle saga car Grimr est orphelin. Or les sagas s’imbriquent toujours généalogiquement. Du coup, je me suis dit qu’avec cet album, j’allais faire une saga qui n’en est pas une. Je voulais surtout dépeindre une Islande terrassée, où une lueur d’espoir surgit grâce cet homme rejeté de ses pairs, mais plus islandais que tous. Car c’est lui qui porte la ferveur des grandes sagas, va accomplir un acte héroïque non plus par soif de conquête, comme au début de l’histoire, mais par amour !

L’Islande, théâtre silencieux des sentiments humains

Il devient héroïque pour Junn, qu’il aime d’un amour impossible : quelle ampleur cette intrigue apporte-elle à l’histoire ?

La Saga de Grimr est quand même une grosse tranche de vie, et j’avais du mal à écrire cette aventure sans y ajouter de la romance. Mais je n’avais pas envie que Junn soit juste la petite copine du héros. Au fur et mesure, elle occupe même un rôle central, car elle permet à la mémoire de Grimr de subsister à travers les âges, d’une certaine façon. J’avais pensé d’ailleurs à ce qu’elle devienne écrivaine de saga, mais ça devenait trop tiré par les cheveux. Il aurait fallu développer son érudition autour de ces récits et ça c’est une autre histoire.

La Saga de Grimr comporte une sacrée galerie de personnages... Comment les avez-vous composés ?

Je n’avais pas beaucoup de documentation sur l’Islande à cette période. Des gravures d’époque rapportées par les Européens m’ont servi de base pour les façonner. Je me suis pas mal régalé avec les personnages secondaires. J’adore le poète triste, j’adore Vigmar le charlatan érudit ou bien la mère de Junn qui endosse son rôle et celui d’homme de la maison pour protéger ses filles. Comme j’ai une grosse affection pour Grimr, car il n’est pas trop lisse. Un des écueils des jeunes scénaristes c’est de faire un héros sans défaut à la Spirou ou Tintin. Grimr est bourru, impulsif... A tel point que des lecteurs ont eu du mal s’identifier à lui. Personnellement, les taiseux m’ont toujours un peu parlé !

Peu bavards, comme vos planches...

L’histoire se tient loin des grands salons et mondanités, même s’il y a des personnages comme Vigmar qui ajoutent du texte. Mais parfois certaines scènes n’en ont pas besoin comme celle où Grimr et Junn expriment leurs sentiments. A la base, j’avais écrit beaucoup de dialogues. Seulement on a à faire à une adolescente islandaise fermière et un homme taciturne : ils n’ont pas les mots qu’il faut. Alors j’ai élagué les paroles et tout misé sur les jeux de regards. Pour moi, les émotions passaient mieux en image qu’à travers une longue conversation.

La nature islandaise est très présente dans la BD. Peindre des paysages si lumineux à l’aquarelle a-t-il présenté un vrai défi graphique ?

Complétement. D’autant plus que mes BD précédentes n’ont pas du tout été réalisées avec cette technique. Je l’ai mise au point lors d’un séjour sur les chemins de Compostelle. J’avais emmené un carnet avec moi, je me suis à peindre. C’est là que j’ai appris à maitriser l’aquarelle, d’ailleurs on voit la progression sur entre les premiers et les derniers dessins, ainsi qu’entre les planches originales et finales de La Saga de Grimr.

J’avais vraiment envie de faire de grandes fresques. Sauf qu’en aquarelle on peut vite se tromper, car on travaille uniquement sur les ajouts d’ombre et la lumière, c’est le blanc du papier. Si ça commence à foncer, ça occulte la lumière et il faut tout recommencer !

Couverture du projet sur la préhistoire

Couverture du projet sur la préhistoire

D’autres projets en cours en rapport ou en dehors de La Saga de Grimr ?

J’aime bien faire des choses très différentes. Par exemple après La Saga de Grimr, j’ai enquillé sur un projet qui n’avait rien à voir : une BD sur la préhistoire. Sauf que je me suis pris les pieds dans le tapis et cet échec a servi de point d’amorce à une autofiction, cette fois-ci dessinée dans le même style que Calvin et Hobbes. J’y questionne mon rapport à la BD : comment je raconte et dessine mes histoires. Cette réflexion m’embarque dans des retrouvailles avec ma famille. A travers cette odyssée familiale, je réalise comment mon vécu façonne mes histoires et les personnages que l’on compose sont plus proches de nous qu’on ne le pense...

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