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VilleVermine comme terrain de jeu

Alors que le deuxième tome de VilleVermine vient de sortir, Julien Lambert revient sur la création de son thriller fantastique, où la ville est un personnage à part entière. Et en bonus, on apprend qu'un nouveau tome est en préparation pour cette série primée à Angoulême.

De quoi est né le monde de VilleVermine, univers que vous construisez depuis des années ?

Julien Lambert : Le projet est né à la fin de mes études, à l’école Saint-Luc de Liège. Il a grandi petit à petit. J’avais envie d’un cadre pour y jouer de grandes aventures, et ce cadre s’est rapidement incarné en une ville imaginaire. Une ville arrêtée dans le temps, grise et sale, mais dans laquelle tout est possible. Une ville monde, avec ses rues étroites, sombres et malfamées, au détour desquelles on peut trouver une jungle dans un terrain vague ou une forteresse dans une usine abandonnée. Bref, un terrain de jeu sans limite où tout est possible, du polar jusqu’au fantastique.

Le nom/surnom de cette ville est arrivé bien plus tard...

Au tout début du projet, il y a 10 ans, la ville s’appelait Beaurhain-Est, en référence à la ville de Beauraing, en Belgique, où j’ai fait mes études secondaires et à laquelle je suis très attaché. Mais ce nom était trop « private joke », je souhaitais quelque chose de plus universel.


A partir de là, j’ai longtemps cherché sans parvenir à un nom qui me satisfasse. Ceux que je trouvais me semblaient soit trop irréels, soit trop anglo-saxon. En effet je souhaitais un nom qui sonne familier, qui évoque les villes que je fréquentais.

C’est finalement mon éditeur Sarbacane, qui a proposé VilleVermine. Le nom m’a plu dès que je l’ai lu, mais je n’arrivais pas à me dire qu’un jour, des gens avaient bâti une ville et l’avaient nommée « VilleVermine ».

Alors est venue l’idée du surnom. Le nom véritable de la ville a disparu, ne reste qu’un surnom réducteur, mais révélateur de la façon dont ses habitants la perçoivent.

Dans cette ville, on reconnaît un peu Gotham mais aussi une ambiance propre aux polars noirs. Quelles sont vos cités, réelles et imaginaires, de référence ?

En cités réelles, il y a des morceaux de Londres et Montréal mais je m’inspire principalement de Liège, où j’ai étudié, vécu et travaillé pendant 8 ans. VilleVermine est un peu une version fantasmée de Liège. Plus grande, plus grise et plus « étrange ». J’ai été très marqué par les ambiances particulières des contes fantastiques de Jean Ray.

Du côté des cités imaginaires, il y a évidemment Gotham City, Sin City, mais également le New York sur Loire de Nicolas de Crécy, ou la ville monde du livre Amer Béton de Taiyo Matsumoto. Il y a également Wondertown, une ville imaginaire dans laquelle se déroulent des aventures fantastiques, écrites par Fabien Velhmann et dessinées par Benoit Féroumont. J’adorais les lire dans Spirou !

Des animaux et des gamins

Les insectes sont très présents dans votre série mais pas forcément repoussants : vous leur portez un amour particulier ?

Oui et non. Je n’ai pas d’obsession particulière, mais je les trouve très beaux, très étranges, et omniprésents. En les observant, j’ai l’impression d’une vie presque mécanique. Et j’aime les histoires où il y a des insectes. Mimic, Le labyrinthe de Pan, La cité des enfants perdus... L’écriture de VilleVermine a été pour moi l’occasion de découvrir Maurice Maeterlinck et ses livres sur les abeilles, les termites et les fourmis.

Jacques Peuplier, enquêteur peu commun, converse surtout avec les objets : comment est né ce trait de caractère et sa carrure imposante ?

La carrure est née avec le personnage. J’ai toujours aimé les personnages grands, forts, abrupts et donc forcément fragiles. Je pense par exemple à Bragon dans la Quête de l’oiseau du temps. Au cinéma, j’ai été très marqué par Jean Reno dans le film Léon et bien sûr, par Ron Perlman dans la Cité des enfants perdus de Caro et Jeunet.

La faculté de converser avec les objets s’est greffée au personnage plus tard. En fait, avec une bande d’amis, nous réalisions un fanzine (le regretté « exhibitions »), et j’avais écrit une ou deux histoires avec des objets qui discutaient entre eux. C’était des récits un peu absurdes mais un jour, j’ai eu envie d’intégrer le principe dans un cadre beaucoup plus « premier degré ».

C’est ainsi que Jacques a commencé à communiquer avec les choses qui l’entourent. Tout de suite, j’ai trouvé que ça fonctionnait. Ça permettait d’expliquer pourquoi Jacques était si éloigné des Hommes. Et sa relation avec les objets me permet de parler des relations humaines de façon détournée.

Dans le deuxième tome, on retrouve à ses côté le jeune Rudy et son chat. Le trio semble répondre à celui que vous aviez formé pour Edwin, la parole en moins pour le chat…

Effectivement [sourire]. Je l’avais noté mais je ne me suis jamais vraiment interrogé sur cette répétition du trio adulte - enfant - animal. Les personnages d’enfants reviennent régulièrement dans les histoires que j’écris. Ils me permettent d’insuffler de l’énergie, une certaine innocence et de l’imaginaire.

En ce qui concerne Edwin, c’était initialement un scénario de Manon Textoris. Quand j’ai rejoint le projet j’ai amené avec moi mes idées fixes, et voilà comment Camille a rejoint l’équipe d’Edwin et Floch.

Quant au duo personnage et son animal domestique, il me semble assez récurrent dans la fiction, notamment dans la bande dessinée (Tintin et Milou, Spirou et Spip, Boule et Bill…)

Du savant fou à la société d’enfants perdus, votre univers grouille de personnages secondaires forts, pourriez-vous nous en dire plus sur la naissance de certains personnages ?

Je suis clairement fasciné par les histoires de gamins qui vivent de grandes aventures, et ça depuis longtemps. Comme dans Hook, mais également les Goonies ou Mathilda, ou encore en BD, Amer Béton, Basil et Victoria, Wondertown. Stephen King est également très fort pour me faire vivre une histoire à hauteur d’enfant.

Plus globalement, j’ai un gros répertoire de personnages secondaires qui grossit d’année en année, dont je me sers quand je commence une nouvelle histoire.

Vous révéliez en interview que pour travailler votre cadrage et l’enchaînement de vos cases, vous travailliez sur post-it...

Le travail de cadrage arrive plus tard dans le processus. C’est vraiment l’enchaînement des cases que je réfléchis par post-it. En effet, cette technique me permet d’avancer case par case, sans me sentir coincé par la mise en page globale de la planche. Je peux jouer avec l’ordre des cases. Inverser, supprimer, rajouter à volonté jusqu’à ce que la narration me convienne.

J’ai été en cela inspiré par Matt Madden qui m’expliquait un jour un exercice qu’il effectuait dans le cadre de l’OuBaPo. Il réalisait une histoire en deux vignettes, un début et une fin. Ensuite il intégrait une case entre les deux, pour rajouter un moment à son mini-récit. Puis à nouveau, il en ajoutait une dans chaque intervalle. Et de cette façon, il étendait son histoire. Outre le principe des cases indépendantes, ça m’a fait prendre conscience qu’une même séquence pouvait être racontée en deux cases ou en dix pages.

Être décorateur sur un film animé a-t-il changé votre manière de mettre en cases les environnements de BD ?

Certainement. Je pense par exemple que le travail au lavis sur les décors du film Loulou L’incroyable secret m’a fait faire des progrès dans l’utilisation des valeurs et m’a aidé à hiérarchiser les plans. Mais j’étais déjà intéressé par le travail des décors avant d’arriver dans l’animation.

Au début de mes études, j’avais tendance à me concentrer sur les personnages, mais les professeurs nous poussaient à plus développer les arrière-plans. Et je me suis découvert une vraie curiosité pour l’environnement, l’architecture, qui passe par beaucoup de documentations, de photos. Finalement le décor dans lequel évolue le personnage nous en dit également beaucoup sur lui.

Après le prix Raymond Leblanc, vous êtes couronné du fauve polar au festival d’Angoulême : que changent ces distinctions à votre manière de travailler ou au regard que vous portez sur votre travail ?

J’ai l’impression que mon regard sur mon travail n’a pas changé, mais c’est un très bel encouragement, et c’est vraiment super pour les bouquins.

En règle générale, j’essaye autant que possible d’avoir un regard détaché sur mon boulot, de ne pas trop me questionner sur ses qualités ou ses défauts. Si j’y pense, ça me bloque. Plutôt que de songer au résultat final, je cherche avant tout à trouver du plaisir dans mon processus de travail.

Alors que ce diptyque s’achève, avez-vous prévu de nouvelles « affaires » pour Jacques Peuplier ?

C’est tout frais mais je peux l’annoncer, il y aura bien un VilleVermine tome 3. En fait, j’ai toujours imaginé ce projet comme une série, d’où l’idée d’une ville monde où tout est possible.

On retrouvera Jacques dans une nouvelle enquête, avec de nouveaux personnages, dans d’autres recoins de VilleVermine… Et bien sûr, toujours les objets !

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