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Le retour de Mourad Boudjellal

Ce 10 mars 2022, sort l’album ElyZée de François Durpaire et Farid Boudjellal, l’histoire de l’accession au pouvoir d’Eric Zemmour. En pleines élections présidentielles, c’est avec ce titre politique que Mourad Boudjellal revient à l’édition. Zoo l’a rencontré.

Après La présidente, le duo Boudjellal et Durpaire s’attaque au candidat à la présidentielle Eric Zemmour : à quoi ressemblerait son mandat une fois les portes de l’Elysée grandes ouvertes ? Sûrement pas à un monde où une maison d’édition peut s’appeler « Mourad éditions » …

Un géant de l’édition

Mourad Boudjellal ne passe pas inaperçu, que ce soit sur les plateaux télé avec Les Grandes Gueules, sur le terrain avec le Rugby Club Toulonnais ou aux festivals de Bandes dessinées. Le « sale gosse » revient à l’édition onze ans après la vente de sa maison d’édition Soleil avec un nouveau projet : « Mourad éditions ».

« Mourad éditions a déjà existé, mais en exemplaire unique. » A 10 ans, Mourad Boudjellal découpait des strips du Fantôme du Bengale, de Mandrake ou encore de Tarzan, pour les relier. « Et j’écrivais Mourad éditions parce que je rêvais de devenir éditeur. »

Il grande Blek

Il grande Blek
© Editoriale Dardo 1990 EsseGesse

La Bande dessinée, c’est venu très tôt chez Mourad Boudjellal. Dès 5 ans, il s’intéresse aux comics. A 10 ans, des rêves d’édition plein la tête, il apprend l’italien pour pouvoir lire les fumetti sans que leurs images ne soient coupées, adaptées au format français. « C’est des choses que je ne dis pas beaucoup parce que quand j’étais dans le milieu de la BD, beaucoup d’éditeurs se disaient fans de BD, là où moi j’avais la réputation d’être plutôt fan d’argent… ».

Après l’école italienne, il y a eu la période Marvel. Puis, enfin, les albums. « J’étais dans un milieu où on n’avait pas les sous pour se payer un album. Alors j’ai volé les premiers. Mon premier album c’était un Benoît Brisefer, Tonton placide. »

L’aventure éditoriale commence lorsqu’il emprunte 7 500€, « 50 000 francs à l’époque », pour ouvrir sa librairie à Toulon. Viennent ensuite les années Futuropolis. « Quand j’ai repris Futuro, plein de gens ne m’en pensaient pas capable. C’est mon côté Chirac ! ». Le succès est au rendez-vous. Et, en 1989, Soleil éditions voient le jour. Commence alors l’ère Lanfeust. « Je me rends compte maintenant que j’ai lancé beaucoup d’auteurs : Tarquin, Arleston, Mourier, Istin, Benjamin Lacombe, Valérie Mangin… Il y a aussi Sky Doll, Les carnets de cerise… J’en oublie plein. »

Lanfeust de Troy

Lanfeust de Troy © Soleil, 2022

Parce que oui, Soleil éditions est un monument dans la Bande dessinée d’héroic fantasy. « Un éditeur c’est quelqu’un qui découvre des auteurs et qui les forme. Racheter des auteurs, c’est comme racheter des joueurs : c’est facile, mais il n’y a aucun mérite.  On peut dire « former » pour des auteurs de BD aussi parce que la relation avec l’éditeur participe à leur évolution. Beaucoup d’auteurs m’interrogeaient et j’étais fier de les mener sur la bonne direction. Le jour où j’ai dit à Mourier sur une image « pourquoi tu ferais pas de la couleur directe », ça a fait naître Les feux d’Askell. Le jour où j’ai rencontré Tarquin - que je devais virer - et que je lui ai dit « tu serais capable de dessiner comme ça, en noir et blanc, sur toute une histoire », il m’a dit « oui ». Alors on a engagé un coloriste et c’est Lanfeust. »

Tarquin, Arleston, Mourier… « C’est maintenant que je réalise ce côté générationnel, que je n’avais pas vu. J’étais le nez dans le guidon et puis j’ai fait un break... »

Et quel break ! En 2011, alors que les éditions Soleil se sont fait une place parmi les grands, Mourad Boudjellal revend ses parts à Delcourt. Le voilà désormais à temps plein au service du RC Toulon, son club de rugby. « Je reviens sur la planète BD avec plaisir mais il fallait qu’il y ait un vrai break. En 2011, sur mes 51 ans de vie, il y en avait au moins 45 durant lesquels il n’y avait pas une heure où je n’avais pas pensé BD. »

« Pour couper, j’ai coupé ». Mais le livre n’est jamais loin. Mourad Boudjellal écrit des livres mais aussi des scénarios de Bandes dessinées (RCT tomes 1 et 2). Le succès ne sera cependant plus le même. Lorsqu’on lui demande s’il souhaite scénariser à nouveau, il s’exclame « Non ! J’ai trop de respect pour le métier pour me remettre à écrire. C’est pas mon objectif. Après il ne faut jamais dire jamais... ».

I’ll be back

« Je savais que j’allais refaire des livres parce que je suis né avec du livre. Mais c’était pas dit que je revienne avec de la BD, j’avais d’autres idées dans le livre. Mais le problème c’est qu’à chaque fois que j’ai fait autre chose que de la BD, je me suis planté ! »

Michèle Benbunan, directrice générale d'Editis, le sait bien. « On textait tout le temps ». L’idée d’un grand retour de Mourad Boudjellal commence alors à germer chez Editis. « J’avais un doute sur le fait que je puisse redevenir éditeur. Donc j’ai mis une condition à tout : c’est que j’aie une année franche, une année où je ne demande rien. Parce que j’estimais que si j’en n’étais pas capable, je ne voulais rien devoir à Editis ».

La fortune de l’ancien éditeur de Soleil lui permet d’appréhender différemment cette nouvelle aventure dans l’édition : « J’ai pas besoin de faire ça. Et puis être dans une grande structure ça a des avantages. Je ne veux plus faire comme avant, comme sur la fin, lire des comptes d’exploitation plutôt que de lire des synopsis. Être super DRH ça ne m’intéresse plus. Gérer des échéances ça m’intéresse plus. Ce que je veux faire ce sont des livres. »

ElyZée

ElyZée © Mourad éditions, 2022

Et quels livres ? Le premier né de Mourad éditions s’appelle Eric. Enfin, ElyZée, une BD politique scénarisée par François Durpaire et dessinée par Farid Boudjellal. « Quand Zemmour s’est présenté, j’ai été épaté parce qu’il faisait pire que Marine Le Pen. Donc j’ai repris la même équipe et je les ai convaincus de faire ce qu’ils avaient fait sur Marine Le Pen avec Zemmour. C’est entre la BD, le roman photo, l’hyperréalisme. Ça fonctionne très bien. »

Puis il y a eu ce débat en octobre 2021 sur le plateau des Grandes Gueules et Eric Zemmour avait dit : « vous n’auriez pas dû vous appeler Mourad. » « Eh oui, c’est lié à Zemmour, je ne suis pas suffisamment mégalo et narcissique pour donner mon nom à ma boîte. »

Plus que du narcissisme, Mourad Boudjellal le voit aussi comme une revanche sur le passé. « A l’époque, on m’a dit « tu ne peux pas appeler ta boîte Boudjellal Mourad, parce que c’est un nom arabe et donc des gens n’achèteront pas tes livres ». Je l’ai cru. Et on m’a dit « tu habites dans le sud, alors appelle la « Soleil » ». C’est venu comme ça. »

Avec ce nouveau nom et ce premier titre, Mourad Boudjellal ne s’interdit rien : « Il y aura d’autres choses politiques mais ça ne sera pas Zemmour. On a fait le tour du sujet. Il y aura un truc sur le sport fin 2023. J’ai d’autres idées… Mais je ne vais pas le dire sinon les autres vont le faire ! ».

Quand on cherche à en savoir un peu plus, Mourad Boudjellal sourit : « Je vais rester fidèle à ce que j’ai toujours fait. J’étais capable le mercredi matin d’être chez Gallimard avec Antoine Gallimard pour la collection Futuropolis et deux heures après d’être à TF1 pour faire la Star’Ac en BD. J’ai des goûts très éclectiques. Je trouve qu’il y a pas de bonnes ou de mauvaises productions. C’est pas facile de faire du populaire, de faire des bouquins qui se vendent bien. Comme disait Coluche, c’est plus compliqué de faire rire que de faire pleurer. Je vais essayer d’être un peu dans les deux mais aussi d’innover. Je veux un peu toucher à tout. J’ai aussi mon péché-mignon : je suis un fan d’héroic fantasy, donc je vais en refaire. »

Mourad Boudjellal

Mourad Boudjellal © Francois Bouchon / Le Figaro

Prometteurs. Les plus nostalgiques (ou les plus grands des grands enfants) se rappelleront alors sûrement des grandes heures de Soleil, de son stand à Angoulême…  « Angoulême ? je vais y retourner en janvier prochain. En 2023, de façon light et en 2024, de façon mémorielle ! On va rappeler aux gens ce qu’était Soleil ! On va faire encore plus fort. »

Fort de son nom et de son passé, Mourad Boudjellal se défend cependant de chercher à récupérer des auteurs qu’il avait dans son giron précédemment. « Je n’ai pas appelé un seul auteur. Il n’y a que des auteurs qui viennent à moi. Des auteurs m’ont rejoint mais parce qu’ils partaient d’ailleurs. Je n’appellerai pas un seul auteur de boîtes où j’étais. » Avis aux intéressés, le mercato a déjà commencé.

« L’attente est forte et on ne peut pas décevoir. Mais je ne vais pas décevoir. Ils ne savent pas encore quel bordel je vais mettre ! Tout est possible, même faire un Zemmour chez Bolloré ! »

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