La dernière journée du Cabaret Vert voit une foule familiale arriver en masse dès 14h et envahir tous les espaces du Festival. Sous un soleil implacable. Les places pour se reposer à l’ombre entre deux activités étaient très prisées. Et nombreux étaient les courageux qui faisaient la queue pour avoir des dédicaces, dans l’espace BD ou devant. Profitons-en pour partager dans cet article nos rencontres avec Emile Bravo (Spirou, L’espoir malgré tout) et Simon Van Liemt (Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet).
Emile Bravo : Le journal d’un auteur pas si ingénu que ça
Quand on lui parle de son engagement, Emile Bravo est prolixe. « Écoute, mon engagement depuis toujours, c’est considérer l'espèce humaine mais avec beaucoup de recul et de dire aux plus jeunes qu’effectivement, nous ne vivons pas dans un monde merveilleux et que le problème, c'est qu’il faudrait que ça change. Ça, on le sait depuis très longtemps, mais aujourd'hui, ça devient urgent et depuis que je me suis engagé sur cette voie, j'ai créé le personnage de Jules, c'est bien pour ça, pour dire aux plus jeunes : n'écoutez pas les adultes, ils font n'importe quoi, il faut que vous preniez les choses en main aujourd'hui ! Mais bon, ça fait 20 ans que je dis ça et je sens qu'aujourd'hui il se sentent vachement plus impliqués. C'est pour ça que ce serait difficile de refaire un Jules parce que les enfants savent très bien et ça ne les fait plus rire du tout. »
La philosophie de l’extra-terrestre
« Mon engagement est assez clair. Je pense que c'est vraiment un problème global. Et quand je dis global, ce n'est pas simplement au niveau planétaire, c'est au niveau de l'esprit humain. C'est de se remettre en question, déconstruire comme ça commence à être fait depuis quelques années mais pas simplement au niveau du comportement sexuel, du genre, mais vraiment au niveau de ce qu'est un humain, sa condition et sa place sur cette planète. Encore une fois, cette planète ne nous appartient pas. C'est nous qui appartenons à cette planète. » C'est ce que dit un extraterrestre, dans un Jules ! »
Pour Jules, c’est ok. Mais pour Spirou ? Bravo poursuit : « Dans Spirou, il y un engagement humaniste, mais là, l’idée est plus de comprendre ce qu'est l'humain. Je suis un garçon optimiste. En même temps je suis réaliste, donc ça me fait un peu peur. Mais je reste optimiste et je me dis que l'idée c'est quand même avant tout de prendre conscience de soi. C’est ce que j'essaie d'évoquer au travers du personnage de Spirou qui a évolué et qui progresse dans ce niveau de conscience. C'est un enfant groom, il est au niveau zéro de l'échelle sociale, quelqu'un à qui on demande de porter des valises et de tenir des portes. Comment ce personnage devient-il un aventurier ? C'est un super exemple pour la jeunesse ! J'ai compris qu’on est déconsidéré au départ et qu’on devient quelqu'un, on s'épanouit. C'est beau ! »
Emile Bravo a fait son premier Spirou, Le journal d’un ingénu, en 2008. Il s'est passé une dizaine d’années avant le début de la quadrilogie L’espoir malgré tout. Son regard a-t-il changé par rapport à ce qu’il avait envie de dire sur le personnage ? L’auteur répond par la négative. « L'espoir, il est aussi dans cette jeunesse que Spirou incarne. L'idée est d'en faire le Spirou adulte. Au départ, Franquin l’a repris adolescent, l’a fait vieillir de quelques années puis l’a figé à un bel âge pour conquérir le monde. Conquérir au bon sens du terme : psychologiquement, humainement. Et moi, je n’ai pas vieilli, je suis toujours le même âge depuis l’âge de 20 ans ! »

Le Journal d'un ingénu
© Emile Bravo - Dupuis
Travailler avec the sound of silence
Puisque nous sommes au Cabaret Vert, parlons musique. Emile Bravo en écoute en travaillant, mais pas toujours. « Pas quand j'écris, j’ai besoin de concentration totale. Pas de bruit, rien ! Ou alors en bruit de fond, mais il ne faut pas que je comprenne les paroles, qu’il y ait des interférences. Mais quand je dessine, oui. J'écoute souvent ce que j'écoutais quand j'étais plus jeune, sinon je mets des radios. Je peux aussi bien écouter de la musique classique ou même du jazz. Pas de l’easy listening. Pas du punk-rock non plus. J’écoute des musiques calmes. C'est important la musique mais je me sens largué par rapport à la scène musicale depuis une dizaine d'années. »
Quand on lui demande à quels concerts il est allé récemment, Bravo a du mal à s’en rappeler, cela fait longtemps. « Je suis en train de chercher. Tu sais, le groupe que tu adorais quand tu étais jeune et quand tu vas le voir, ils ont pris 30 40 ans et c’est hyper-dur ! Donc c’est pour ça que je n’y vais plus ! » Avant de citer Dominique A.
Concernant les concerts du Cabaret Vert : « Bien sûr, après les dédicaces, je suis plongé direct dans le bain, avec la scène Zanzibar ! J’ai un super souvenir en fait du premier que j'ai vu. Ce groupe australien qui s'appelle Amyl and the Sniffers. Après, on a l'impression d'être dans un parc d'attraction : il y a plein de manèges et on ne sait pas où aller ! Car ils jouent en même temps à différents endroits. Et car je suis en dehors de ça depuis un moment. »
Le retour des ours nains
Pour l’après Spirou, Emile Bravo a un projet dans un univers qu’il a déjà côtoyé. « C'est une série pour les enfants qui s'appellent Les sept ours nains. J'en ai écrit un autre, ce sera toujours au Seuil Jeunesse. J'ai soumis le projet le mois dernier et tout de suite, ils ont été ravis. Quand j’écris mes histoires, elles sont déjà dessinées mais il faut maintenant mettre au propre, faire la mise en couleur. Il y a deux mois de travail… Je ne sais pas quand ça va paraître, je ne suis pas dans la programmation !
Et cette série tient toujours la route : pour les 30 ans des éditions du Seuil l'an dernier, ils avaient réédité les quatre albums ensemble et ça se vend très bien. Ça se transmet : ce sont les enfants qui ont grandi qui le transmettent à leurs propres enfants. C'est génial ! Quelque part, ce n’est pas étonnant dans le sens où c'est du recyclage de conte. C’est reprendre les contes et parler du monde d’aujourd’hui. Donc, si ça peut aider, si je peux rendre service, tant mieux ! »

Boucle d'or et les sept ours nains
© Emile Bravo - Seuil Jeunesse
Simon Van Liemt :
Pour Simon Van Liemt, qui dessine Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet sur scénario de Benoît Zidrou depuis 6 albums, le choix d’avoir fixé ces histoires dans les sixties n’est pas innocent : « Le regard qu'on a aujourd'hui sur la situation des années 60 permet d'avoir un avis éclairé sur toute cette période ; et aussi sur nous-mêmes aujourd'hui puisque finalement les choses n'ont pas beaucoup évolué. »
Les sujets et leur traitement sont définis par son scénariste. « Je laisse vraiment Zidrou libre d'écrire ce qui le porte. Parce que le point de vue de Benoît est plutôt universel, je peux m'aligner sur son discours. Il n’y a pas non plus une prise de position radicale. Je pense que le personnage de Nadine incarne la jeunesse qui s'émancipe et vit, par rapport aux valeurs plus classiques du personnage de Ric Hochet. Le commissaire Griot (tome 5) était surtout un prétexte pour mettre les personnages dans une situation qu’ils ne connaissent pas et voir ce que ça provoque. Le fait est qu'il y a un discours anti-raciste, mais je ne pense pas que ce soit fondamental dans l’histoire. Le but est de proposer quelque chose de divertissant et de relativement léger.
Je pense que comme beaucoup de scénaristes, Benoît est content de pouvoir placer quelques idées. L'objectif est d’être ludique. Et tant mieux si ça peut être fait à travers un discours un peu plus fin. C'est le contexte des années 60 qui fait qu’on peut proposer ça. Ric Hochet est un personnage qui a évolué au fil du temps et qui restait toujours dans son époque. C'est marrant d'imaginer qu’en le faisant revenir en arrière, on peut finalement avoir un point de regard plus intéressant sur la femme, sur le contexte, la politique de l'époque et donc sur nous-mêmes. »
Simon Van Liemt ajoute que graphiquement, c'est un vrai plaisir de dessiner cette période. « Au niveau du design en général, les années 60 sont très agréables. Toutes les voitures sont vraiment très singulières, les objets sont encore dans des matières un peu brutes, même si on n’est plus dans les années 50. C'est l'ère du plastique aussi, c’est vrai ! En tout cas, c'est une ère de design qui est très forte donc ça, c'est très agréable. Après il y a tout le travail de recherche et de documentation qui peut être un peu laborieux, évidemment, sur une série comme ça. D’autant plus que graphiquement, c'est très exigeant. Ric Hochet, ce n'est pas vraiment la ligne claire, mais un style très classique qui demande un résultat final très propre. »

Les Nouvelles Enquêtes de Ric Hochet, Tome 5
© Van Liemt, Zidrou - Le Lombard
Simon Van Liemt travaille tout le temps en musique : « Sur la mise en scène non, au storyboard, non plus : j’essaie de me concentrer jusqu'à ce que j'aie une forme qui me convienne là. Mais après, je peux me permettre d’en écouter ! »
Quant au type de musique qu’il écoute en travaillant : « J'écoute essentiellement de la musique que j'appellerais post-punk. Ça veut dire soit des groupes anglais assez sombres des années entre 78 et 83, soit des trucs américains de la même époque. Toute la tendance New Wave, new-yorkaise, etc. » Même pour l'encrage, mettre de la musique plutôt punk-rock, donc qui est assez rythmée, n'est pas un souci : « Ca me met dans un état d'esprit qui me permet d'être entièrement concentré sur ce que je fais et plutôt en paix. »
Au Cabaret Vert, Simon Van Liemt a fait une découverte : « J'ai eu un coup de coeur pour Oi Boys, un groupe de Metz qui chante en français avec des influences de type Rock français des années 80 / début 90. Avec quelques effets New Wave parce qu'il y a un synthé. Que les paroles soient en français apportait beaucoup. J’ai eu la chance de les croiser au bar, après le concert, et donc on a pu échanger ensemble. C'était sympa parce que les deux compositeurs du groupe sont aussi dans le dessin ! ». Simon précise : « J'ai un groupe, aussi. Un groupe de rock dans lequel je fais chant et guitare. Et je compose à peu près tout. »
Dans l’actualité de l’artiste, il y a une courte histoire de Blake et Mortimer destinée un numéro spécial du journal de Tintin qui sort en septembre, pour ses 77 ans. « C’est un récit de 10 pages », précise Simon Van Liemt. Quant à faire un album complet de 62 pages ? « Je serais le plus heureux des hommes, mais on attend déjà que ces pages soient éditées, puis on verra ! Je suis sur le tome 7 de Ric Hochet. Je me concentre uniquement sur la série au niveau du dessin. Et je cherche à progresser avec mon groupe, ma musique. C’est déjà pas mal ! »
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