ZOO

Le géographe Jean Leveugle joue avec les cartes du temps

Jean Leveugle, géographe et urbaniste de formation, est originaire de Normandie mais vit en Bretagne depuis 2017. Nous l’avons rencontré, chez lui à Rennes, à l’occasion de la sortie de sa première BD, « Geographia, l’odyssée cartographique de Ptolémée ».

Jean Leveugle

Jean Leveugle dans son atelier © Lucie MOREL

Vous êtes originaire de Normandie et habitez Rennes depuis combien de temps ?

Jean Leveugle : On est arrivé à Rennes avec la LGV (Ligne à Grande Vitesse) en 2017. Je suis originaire de Douvres-la-Délivrande dans le Calvados où vivent toujours mes parents. J'y ai vécu jusqu'à mes 18 ans. Puis j'ai passé un bac littéraire et je suis allé faire des études à Paris, où j'ai habité une dizaine d'années. J'ai suivi une première années en sciences sociales économiques, puis j'ai passé un an à l'école Estienne et je me suis mis à niveau en arts appliqués. Puis je suis retourné en sciences sociales, j'ai décroché une licence 3 en géographie et aménagement du territoire, puis un master en urbanisme et un diplôme de géographie à l'Ecole nationale supérieure (ENS). J'aborde plus la géographie par le prisme de l'humain, l'aménagement du territoire et l'urbanisme.

Pourquoi êtes-vous venu vous installer à Rennes ?

J.L : Au départ, pour le travail de mon épouse Marie, originaire de région parisienne. On est venus pour sa formation. Elle a ensuite travaillé aux Compagnons bâtisseurs qui accompagnent les propriétaires et locataires en précarité. Nous avons deux garçons de 6 et 4 ans, Camille et Abel, et nous attendons le troisième, donc on va déménager dans les deux mois pour avoir un logement plus grand (N.D.L.R. : ils habitent actuellement dans un logement partagé dans le quartier de Bréquigny et vont s'installer à proximité). On est dans le jus là !

Comment êtes-vous venu à la bande dessinée ?

J.L : J'ai toujours dessiné depuis l'enfance. Aujourd'hui, je suis un auteur de BD à 100%. Quand j'ai terminé mes études en 2014, j'étais déjà convaincu que la BD était un bon vecteur de vulgarisation scientifique. Depuis dix ans, sous le nom des Savoirs Ambulants, je réponds à des travaux de commandes pour des associations, des collectivités territoriales. En ce moment par exemple, je travaille sur la transmission agricole pour des associations et organismes qui accompagnent les paysans dans leur transition : on n'est jamais complètement loin de la géographie...Je bosse aussi pour l'association des Cités-jardins d'Île-de-France. Je cherchais depuis des années un équilibre entre toutes ces activités. L'idée, c'est que pendant que je fais ces travaux qui me paient, je peux mener des projets personnels dans la bande dessinée, comme Geographia, mon premier album.

C'est un parcours géographique et historique assez fascinant que vous proposez au lecteur...

J.L : Merci ! En 2019, je me rends compte que je fais de la vulgarisation scientifique en BD depuis longtemps et je commence à tourner en rond. L'idée n'était pas de tourner la page d'un album parce qu'il est drôle et intéressant, mais parce qu'on a envie de connaître la suite. J'ai du mal avec la BD de vulgarisation qui utilise sans modération les cartouches de texte : j'ai tenu à n'en placer aucun dans Geographia. Tout comme les objets scientifiques, que l'on trouve uniquement dans les mains des personnages. J'ai beaucoup travaillé sur la carte en tant que géographe mais je connaissais pas forcément l'histoire de la cartographie. Un jour, j'ai lu le premier récit de circum navigation (tour du globe) français écrit par Louis-Antoine de Bougainville à la fin du XVIIIe siècle. J'ai commencé à m'intéresser à la manière dont on cartographie et je suis tombé sur l'histoire des cartes et des représentations du monde dans le monde, observer et étudier quelle conception du monde propose une carte. Je ne fais plus que ça depuis cinq ans.

Comment s'est découpé votre travail sur Geographia ?

J.L : Pendant le confinement, j'ai proposé un feuilleton sur Ptolémée, un peu comme un crash-test pour voir comment répondrait le public. J'ai dessiné deux fois douze pages sur internet et les retours ont été excellents : ça m'a poussé à continuer. Mais ça m'a aussi fait comprendre que j'allais me retrouver en difficulté car je ne suis pas historien. Au fil de mon travail, je suis notamment tombé sur des sources et informations contradictoires. J'ai contacté l'historienne Emmanuelle Vagnon, dont j'aime beaucoup le travail, le style « prudent » et le ton. Elle m'a aidé à écrire le deuxième épisode du feuilleton. Elle travaillait déjà avec la BnF (Bibliothèque nationale de France) qui possède un fonds de cartes majeur au niveau mondial. Je voulais absolument une co-édition : j'ai proposé mon projet à Futuropolis, et il a été co-édité avec les éditions BnF.

Jean Leveugle

Jean Leveugle et son premier ouvrage "Géographia" © Lucie MOREL

Quel a été le rôle de l'historienne ?

J.L : Elle a eu un rôle d'appui scientifique (vérification des faits, corrections, suggestions), mais aussi de professeure et formatrice (elle m'a clairement formé en m'indiquant les bonnes lectures, les ouvrages, les thèses ou les articles à lire absolument pour que je complète ma connaissance du sujet). Elle m'a aussi suggéré des idées lorsque j'avais besoin d'un élément narratif précis (une anecdote, un personnage historique, etc.) J'ai écris tout le scénario et les dialogues moi-même (il me semblait indispensable de maîtriser parfaitement le sujet et d'écrire moi-même à partir de ça). Emmanuelle a relu et validé l'ensemble. Pour l'anecdote, nous avons travaillé trois ans ensemble sans nous voir une seule fois (j'habite à Rennes et elle à Paris, nous avons commencé en plein Covid), mais pendant trois ans, nous avons échangé quasiment quotidiennement et sommes devenus très bons amis.

La savant grec Ptolémée est volontairement drôle et caricatural, pour ne pas dire insupportable dans votre BD...

J.L : Oui, c'est mon fil rouge qui me permet de traverser les époques. Il est la base de toute la cartographie moderne et permet de retracer deux mille ans de géographie. Je me suis appuyé sur la création de ce monde imaginaire qu'est l'Anti-Terre : une copie de la Terre sur laquelle vivent les gens qui sont morts. La BD est constituée de Cités-époques, des villes phares dans lesquelles on retrouve tous les gens morts.

Comment dessinez-vous ?

J.L : Uniquement au crayon, puis je scanne et je contraste avant de faire la mise en couleur numérique avec une tablette. Le crayon donne du flou aux personnages. J'aime ça car c'est doux et offre des rendus graphiques onctueux, mousseux. Et puis de toute façon, je ne suis pas bon à l'encrage ni à la mise en couleur manuelle !

Jean Leveugle : Le géographe Jean Leveugle joue avec les cartes du temps

© Lucie MOREL

Vous redessinez aussi des cartes anciennes que vous vendez sur votre site internet, jeanleveugle.fr ?

J.L : Oui, j'aime cette idée de leur redonner vie en les modernisant. Saviez-vous, par exemple, que la plus ancienne représentation de la Bretagne figure sur une carte de l'Europe dessinée au XIIe siècle par un Arabe, Al Idrīsī ? Pour Geographia, j'ai entièrement redessiné une trentaine de cartes anciennes et écrit tout le lettrage à la main. La dernière année, j'ai travaillé 55 heures par semaine sans vacances et avec les enfants.

De nombreux instruments ornent les murs de votre logement, vous aimez la musique ?

J.L : Oui, je suis guitariste à la base, puis j'ai appris le ukulélé, le bouzouki (sorte de banjo grec).... Mais avec les enfants et la vie de famille, je n'ai plus le temps.

Quels sont vos projets en BD ?

J.L : Un travail sur le Moyen âge : je m'intéresse à la circulation des manuscrits et des copistes, à l'histoire des personnages à travers une carte, toujours chez Futuropolis. J'essaie d'alléger en science pour trouver un juste milieu avec la fiction. J'aime l'idée de faire un pas de côté, toujours cette envie de vulgarisation scientifique.

BD

Interview

Géographie

Haut de page

Commentez

1200 caractères restants