Du plus vaste et tristement célèbre des camps d’extermination du Troisième Reich, Gaétan Nocq adapte remarquablement en bande dessinée le témoignage poignant et héroïque de Witold Pilecki, l’espion d’Auschwitz.
Tenus secrets durant plus de 50 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les rapports Pilecki exposent froidement la réalité matérielle du fonctionnement du camp d’Auschwitz, vécu par un prisonnier pas comme les autres. En septembre 1940, le lieutenant Witold Pilecki se fait volontairement arrêter par la Wehrmacht afin d’être emprisonné à Auschwitz. Sa mission est de collecter et transmettre des informations, ainsi que d’y organiser un réseau de résistance.
Un dépouillement puissant
Motivé par l’historienne et maîtresse de conférences à la Sorbonne Isabelle Davion, Gaétan Nocq dessine ces trois années de captivité avec toute la grâce et la puissance qu’il sait donner à ses scènes mono- ou bi-chromatiques. De ses visites aux vestiges polonais, l’auteur a ramené en particulier une imagerie primaire, dépouillée de tout superflu et empreinte de l’humilité respectueuse qu’un tel récit réclame.
Il impose avec courage l’ambiance tendue et dangereuse qu’on imagine du lieu et de l’époque, et magnifie l’importance de chaque détail : un béret, une brique, un tricycle. Il anime subtilement ses personnages dont les expressions semblent autant réduites que l’est leur liberté, nous imprimant plus violemment encore l’odieuse réalité de ce que subirent les déportés. Si Gaétan Nocq s’est posé la question de la manière dont il saurait aborder graphiquement un tel ouvrage, sans en trahir l’authenticité historique et émotionnelle, nous pouvons d’ores et déjà le rassurer : pari réussi, son livre est crédible et beau malgré l’horreur.
Quand la réalité dépasse la fiction
L’autre exercice périlleux pour l’auteur était d’adapter un document quasi-administratif en un récit construit comme une fiction dramatique dont le rythme, au vu du sujet, suffirait à tenir en haleine un public. Là encore, Gaétan Nocq affirme ses talents de conteur et signe un album dont les étapes du scénario s’imprègnent précisément de la puissance des faits : la guerre, l’espionnage, la prison, l’évasion, la mort, autant de thèmes dignes des meilleurs romans de genre. Comme le héros, le lecteur se charge du poids d’un environnement aussi écrasant, éclairé par l’espoir de s’évader.
Parmi les nombreux ouvrages centrés sur la Seconde Guerre mondiale, Le Rapport W de Gaétan Nocq est de ces lectures qui bouleversent.
Article publié dans le magazine Zoo n°72, en librairie le 9 juillet.
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