La destinée d’un parrain sicilien du crime est dressée avec un trait charbonneux faisant écho à la noirceur de son âme. L’histoire puise ses racines dans les années 40 et étend ses ramifications jusqu’aux années 2010. Édifiant.
Salvatore Riina est le fils d'un paysan pauvre et honnête. Mais il ne tient pas de son père, le fauve (la belva), c'est lui. L'assassin du juge Falcone à Palerme, en 1992, c'est lui également. Comment ce gosse de la campagne est-il devenu un parrain de la maffia sicilienne, responsable d'une centaine de meurtres ? C'est à cette question que s'est attelé Jean-David Morvan avec l'aide du dessin charbonneux de l’Argentin Facundo Percio, avec qui il a déjà réalisé plusieurs albums (dont La Ferme de l’enfant-loup). Percio est ici assisté par Facundo (un autre !) Teyo et Vladimiro Merino.
Morvan utilise une astuce scénaristique qui fonctionne bien : Riina est vieux, à la fin de sa vie, en prison et il discute avec l'homme imaginaire qu'il aurait pu être s'il n'avait pas versé dans le crime. Longs et peu nombreux, les flashbacks ne cassent pas le rythme ni ne nuisent à la compréhension du récit.
Le Fauve de Corleone © Delcourt, 2024
Les auteurs se sont particulièrement attardés sur l'enfance et la jeunesse de Riina. Ils ont eu raison. Cette description de la dure vie rurale dans l'Italie de l'après-guerre n'est pas une explication au chemin pris par le jeune homme, mais elle le contextualise. À Corleone, le crime a prospéré et s’est diversifié dans un terreau favorable : le docteur était le « capo » de la ville, en plus d'être un notable. Le Fauve compense sa petite taille par une agressivité hors normes. Et il a de l'ambition : il veut en imposer par la terreur face aux maffieux de Palerme qui considèrent Riina et sa bande comme de simples exécutants. Le dessin est particulièrement vivant et traduit bien la noirceur de ce monde.
Les dernières années de liberté dont le procès ayant suivi l'arrestation sont traitées de manière plus elliptique, mais tant mieux. Les séquences judiciaires auraient été moins graphiques.
Pas simple de rendre attrayante une histoire où les personnages n’ont rien de sympathique. Pari réussi.